Des tops, des tops, des tops ! 2016

Ce mois de janvier particulièrement chargé ne m’ayant pas permis de fournir ce blog en textes, fournissons-le au moins en listes narcissiques !

Pas la peine de faire semblant, cette année : mes difficultés face à la projection numérique n’ont pas changé, mon peu d’assiduité en salles n’a pas arrangé les choses. Il me serait bien difficile de dire quoi que ce soit de pertinent sur l’année 2016, et encore moins d’en faire un classement… Reste donc mon top des films hors actualité, vus entre le 1er janvier et le 31 décembre derniers – mais qui peut, pour une fois, faire écho avec nombre de cinéphilies actuelles : on y trouve, en effet, deux séries télévisées.

 

Des séries et des tops

Ce ne serait pas la première fois qu’elles viennent squatter un top de fin d’année (rien d’original là-dedans), mais dans le cas de votre serviteur, c’est une surprise ; et je vais profiter de l’occasion (et de que je vous ai prisonniers sous la main) pour longuement vous faire part de ce petit blocage personnel (y a pas de quoi).

Je n’ai en effet jamais réussi à considérer les séries télévisées comme un équivalent au cinéma. Aucune volonté de hiérarchiser : je n’y vois rien de mieux, ni de moins bien, mais simplement autre chose. J’y trouve des sensations radicalement différentes, une expérience esthétique et narrative différente, et sous l’évidence d’un matériau commun (des images en mouvement et du son) se cachent, à mon sens, deux expressions artistiques qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre – un peu comme la musique n’a au fond pas grand chose à voir avec la chanson, ni la BD avec la peinture, malgré d’identiques ingrédients.

Devant une série télévisée, ce n’est par exemple jamais la mise en scène qui me parle : ce n’est pas de là que vient l’énonciation, la narration, le dialogue qu’on engage avec moi spectateur. Non que les réalisateurs de séries TV soient mauvais, certains sont même virtuoses. Mais ils sont virtuoses et ne s’épanouissent que dans le rôle très particulier que la série leur confère : en tant que colorieurs géniaux (Paul McGuigan), ou en instaurant la charte plastique du programme, dont une équipe de réals interchangeables n’aura ensuite plus qu’à dérouler les propriétés. Quand bien même ces propositions sont fortes (Stephen Hopkins, Mimi Leder…), elles renvoient à un geste long plus proche d’un travail de chef-opérateur, consistant surtout à répondre au concept du showrunner une approche esthétique globale (réaliste ou non ? statique ou non ?) chargée d’en parfaire l’attaque.

C’est ainsi que souvent, au fond, passés les scénaristes baroques (ceux qui font de leur écriture un show à part entière : Moffat, Sorkin…), les séries m’ennuient. Certes j’en ai vu beaucoup avec plaisir (quoique aussi beaucoup par paresse), j’ai ri devant les séries comiques, je me suis attaché à certaines… Mais au final, dès qu’une scène y est amorcée et son enjeu visible, dès que j’ai compris celui-ci, je n’y trouve plus rien à manger. J’ai l’impression que tout est joué, que ce qui se déroule à l’écran n’est plus qu’occupation du spectateur (fioritures dialoguées, petits détours et rebondissements comblant le vide) et que plus rien ne viendra réellement me parler : je patiente alors en croisant les doigts, attendant poliment la séquence suivante. La narration longue des séries (destin des personnages, plaisir des croisements) peut certes captiver à force d’addiction, mais l’expérience de leur vision en direct m’est épuisante. Car sans doute y cherche-je autre chose : un regard posé sur les situations, des scènes qui existent en soi et non comme simple déduction d’un arc scénaristique, une narration qui en passe par autre chose que le script – bref une énonciation qui est celle du cinéma, et qu’il est certes un peu idiot d’aller chercher sur le petit écran, plutôt que de profiter de ce que celui-ci a à offrir.

Les contre-exemples à ce constat sont évidemment nombreux, mes lacunes sont immenses, mais le fait est là. Or nous y voilà : malgré tout cela, deux séries télévisées se retrouvent dans ce top annuel, comme deux bugs contredisant ce désintérêt personnel, et dont l’exception évidemment m’interroge. Elles ont en commun de ne pas être récentes, d’être préalables à ce que l’on conçoit comme l’âge d’or du medium. Cette période dorée réfère surtout à une manière (un fonctionnement narratif) qui débuterait autour des années 2000, caractérisée par un dopage des potentialités du script : orgie de rebondissements et narration croisée (avec pour possible matrice 24 heures chrono), micro-attention aux psychologies subtilement auscultées au fil des épisodes (dont on irait alors plutôt chercher l’origine du côté de Six Feet Under)…

Or la première série de ce top (Now and Then, Here and There) participe, elle, à une toute autre histoire : celle de l’animation japonaise, où films et séries furent dès leurs débuts intimement liés (les cinéastes sautant allègrement de l’un à l’autre, et leurs diégèses traversant de toute façon de multiples supports, sans même concevoir ce genre de frontières : OAV, manga, jeu vidéo…). La mise en scène, par ailleurs, y fut immédiatement centrale : le manque de moyens imposait des choix de découpage radicaux (un tiers des plans sont des images fixes, allez donc décider lesquels). Ne pouvant se reposer sur le tout-animé des collègues américains ou européens, l’industrie dut vite apprendre à raconter ses histoires au moyen d’un arsenal de procédés issus du cinéma (jeux de mise au point, suspensions de la bande-son ou du montage, importance du contre-champ dans les dialogues, choix méticuleux des valeurs de cadre) : les meilleurs moments d’Here and There sont justement des moments de pause, d’attente, de silences absurdes demandant toute disponibilité et concentration au spectateur, qu’il est peu probable de retrouver dans une série aujourd’hui.

La deuxième série de ce top, Law & order, est un cas plus retors. C’est une série qui a en effet perduré jusqu’en 2010 (même si sa forme a évolué avec le temps), et dont les débuts sont contemporains d’autre séries (X-Files, Urgences…) qu’on peut considérer, sur certains points, comme les ancêtres de nos séries actuelles (identité plastique et tonale déjà très marquée, prétentions psychologiques appuyées, poids du showrunner sensible à travers certains épisodes-clé). Law & order contredit néanmoins l’âge d’or actuel sur un point, qu’elle partagea avec bien d’autres : c’est une série anti-feuilletonesque. Entre deux épisodes, presqu’aucun chemin n’est dessiné ; pas de thématique unifiant la saison, par d’arc scénaristique ni de rebondissements en cascade, pas de pénétration dans l’intime ou les tourments des protagonistes ; aucun geste long, sinon l’apprivoisement en creux des personnages récurrents (et tout au plus la gestion scénaristique, en début et fin de saison, des changements de casting). La série ne consiste qu’en la réaffirmation, à chaque épisode, de ce en quoi consiste son regard premier, chaque situation venant en préciser un peu mieux les contours, en souligner les nuances – comme une infinité de variations sur un même thème, qui en définiraient à chaque fois un peu mieux la nature.

Y-a-t-il là une différence fondamentale avec les séries récentes, quelque chose qui vaille le coup d’être interrogé, ou le pavé que vous venez de subir n’est-il que la justification alambiquée d’un coup de cœur personnel ? (mon amour profond pour le cinéma des années 90 n’aide certes pas à l’objectivité…). Ce blog, un peu trop muet sur les séries, gagnerait à se botter les fesses pour retourner explorer cette question ici simplement ébauchée – mais évitera prudemment de le promettre, la douce odeur de la flemme lui montant déjà au nez.

 

Vade retro 2016

Quoiqu’il en soit, voici donc deux séries et huit films qui firent le meilleur de mes visions de l’année. Une cuvée modeste au final (peu de temps pour écrire et explorer), mais pas avare en surprises. Le tout en essayant d’être assez honnête pour évacuer les grands films sujets à une admiration trop froide (Sous les toits de Paris, Nuages d’été, Ce vieux rêve qui bouge, Une page folle…), tout comme le plaisir coupable de séances trop confortables (The Delicious Little Devil, Histoire d’une femme, Le Chevalier blanc, Abbatoir 5…). Voici la bête !

 

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1. Now and Then, Here and There
Akitaro Daichi, Hideyuki Kurata / 1999

Le plus candide des princes charmants rencontre toute la violence compilée de trente années d’animes. Cocktail molotov de sensations bizarres et de tonalités contradictoires, de lyrisme sincère et de chirurgie méta, cette série rappelle, s’il en était besoin, que l’âge d’or de l’animation japonaise fut l’un des plus grands moments de l’Histoire du cinéma.

 

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2. La Cible humaine
Henry King / 1950

Un western en chambre filmé comme une guerre de tranchées, observant le futur du pays avec une mélancolie rentrée : découverte impériale d’Henry King.

 

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3. Les Proscrits
Victor Sjöström / 1918

On a jamais vu la nature comme ça au cinéma : non pas romantisée, habitée, signifiante, mais comme un monde brut et amoral, sans affect, indifféremment refuge et létal – et justement beau pour cela. Enfin un chef-d’œuvre pour le muet suédois.

 

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4. Law & Order
Dick Wolf / 1991 (saison 1 et 2)

Vision encore en cours (une saison 3 reste à voir, pour terminer le premier cycle), mais je tenterai de revenir, autant que faire se peut, sur le mystère de cette série aussi implacablement sobre que doucement fascinante.

 

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5. Keep the Lights On
Ira Sachs / 2012

Il faut vraiment que cette année tienne du bug pour qu’après Les Proscrits, un deuxième film naturaliste vienne se glisser dans ce top… Soit une glorieuse exception à la lie qu’est le cinéma indé américain, et qui impose Ira Sachs comme l’un des meilleurs cinéastes contemporains.

 

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6. La Traversée
Elisabeth Leuvrey / 2006-2013

Le déchirement binational, question violemment maniée par l’actualité, trouve une magnifique oasis dans ce film doux, au fantastique latent, qui transcende superbement les codes appliqués du thema Arte.

 

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7. L’Ange
Patrick Bokanowski / 1982

Improbable réconciliation avec le cinéma expérimental, après dix ans d’un rejet écœuré dont seul Brakhage avait survécu. Un cinéma dont l’exploration ne fait pour moi que commencer, en espérant ne pas être tombé là sur une heureuse exception…

 

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8. Le Charmeur gitan
Valentin Vaala / 1929

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9. La Montagne sacrée
Arnold Fanck / 1926

Deux films superbes bien qu’inégaux, aux derniers feux du cinéma muet. Autour d’une partie centrale moins inspirée (un marivaudage et une compétition à skis), la même exaltation d’un romantisme chevillé aux puissances de la nature, sobre chez l’un, hurlante chez l’autre.

 

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10. Le Voyage d’Arlo
Peter Sohn / 2015

Inexplicable remontée d’estime pour ce film mineur et terriblement imparfait, mais dont les images ont tranquillement fait leur chemin en tête. Le souvenir que j’en garde est peut-être déformé (on en oublierait l’assommant premier acte), mais qu’importe : certains passages de ce capharnaüm académique, par leur incarnation ou leur pureté mélodramatique, resteront pour moi comme les plus forts de l’année.

 

Bonne année à tous, et rendez-vous dans un an, en espérant avoir d’ici là un peu plus de temps à consacrer à ce blog ! (oui, je sais, ça fait promesse d’alcoolique…)

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