Top Gun : Maverick Joseph Kosinski / 2022

Pilote de chasse de la Marine américaine depuis trente ans, Pete « Maverick » Mitchell est rappelé pour former de nouvelles recrues…

Quelques spoilers.
 

Énième manifestation du maelstrom méta qu’est devenu Hollywood ces dernières années, Top Gun Maverick semble viser un peu plus loin que ses collègues : il n’est plus seulement question ici de commenter le film originel (par référents scénaristiques, par acteurs vieillis ou personnages mourants, par musiques reprises…), mais aussi de prétendre remettre de l’ordre dans le cinéma hollywoodien actuel, en allant rechercher un “savoir-faire perdu” des années 80 – ce que mime explicitement le scénario en confrontant ses jeunes pilotes prétentieux au tutorat salvateur d’un Tom Cruise vieilli (acteur que le jeune public, aujourd’hui, ne connaît sans doute plus que de nom).

Ce retour en arrière (au sens d’une “marche arrière” qu’on opérerait pour sortir de l’impasse où l’on s’est fourrés), ce changement d’aiguillage que le succès fracassant du film au box-office semble avoir validé, prend en fait deux visages.

L’un, assez dramatique, est la résurrection fière de tout un univers Reaganien et patriote, aveugle à tous les doutes, à tous les évènements (11 septembre, Irak…) qui ont déconstruit sa splendeur ces dernières décennies. « Non, rien de tout cela n’a existé », semble nous dire le film1… Ce nationalisme tonygencil, ces héros masculins sans ombre et ce culte de la performance, ce personnage féminin semi-potiche ou trophée (quand bien même Connelly essaie de lui donner un maximum de caractère), tout cela est pour le film encore valide et tout à fait mobilisable, pertinent comme au premier jour. Au risque de créer le produit le plus générique et intemporel possible (le film, tranquillement, n’a ainsi même plus besoin de nommer le pays ennemi contre lequel il se bat).

Cette idée d’un cinéma et d’un monde qui refusent de voir qu’ils ont vieilli, et qui ne veulent pas « let it go » comme on le leur implore, se cristallise évidemment autour de la figure de Tom Cruise, masque de jeunesse éternelle plus souriant que jamais (sourire parcouru de micro-inquiétudes, de micro-aléas, qui en font tout le prix). L’acteur s’installe comme toujours au centre d’une entreprise d’auto-célébration terrifiante (ce dernier plan le montrant torse nu, sur la plage, toujours supposé être un parfait objet de désir à 60 ans). Le meta semble ne plus pouvoir se contenter des films, et phagocyte à présent les comédiens eux-mêmes : le cancer de Val Kilmer mis en scène tel quel, Cruise qui avoue ne rien savoir faire d’autre que ce sourire qu’il affiche, le déni et l’incapacité à lâcher prise devant le vieillissement et la chute annoncées…

Le second retour en arrière, plus fertile, est celui qui ramène à Hollywood un savoir-faire néo-classique (paradoxalement plus probant ici que dans le Top Gun originel, si j’en crois les critiques – le début clipesque et confus, qui pastiche au plan près le film de 1986, fait en effet très peur). C’est-à-dire produire un film d’action, certes, mais un film d’action d’abord centré sur les enjeux émotionnels des personnages (certes basiques, mais auxquels on donne du temps), dont les combats aériens cherchent d’abord la lisibilité (celle des plans comme celle du déroulé des missions), avec des prises de vues en dur dont l’impact ridiculise l’habituelle orgie de SFX du Hollywood contemporain, le tout rythmé de scènes reposant sur des idées de cinéma (le face-à-face lors de la fuite de la maison, le dialogue par écran interposé…). Bref, Top Gun Maverick rappelle à une jeune génération perfusée à Marvel qu’un film populaire peut aussi être une entreprise de savoir-faire et d’implication du spectateur (quand bien même c’est en jouant la partition la plus banale possible), plutôt que de chercher l’adhésion du public à coups d’hypertrophie – il ne s’agit pas, ici, de sauver l’univers et l’humanité entière, juste de ne tuer personne de la petite équipe en chemin.

On espère que c’est d’abord cela (et non l’overdose meta-patriotique) qui a permis le succès du film au box-office, et qui poussera l’industrie à en tirer quelques leçons.

 
 

Notes

1 • On peut noter que l’affaire se joue au carré, puisque le cinéma hollywoodien 80’s consistait déjà, à l’époque, en un oubli volontaire des deux décennies de doutes lui ayant précédé (Vietnam, Watergate, démythifications du Nouvel Hollywood…) pour revenir au cinéma de genre et à des schémas plus manichéens, en prenant pour référent ces années 50 où tout était en ordre.
 

Réactions sur “Top Gun : Maverick Joseph Kosinski / 2022

  1. Le premier visage que tu décris est en effet assez flippant et fait du film un anachronisme encombrant. Peut-être pour ça que j’ai pris l’objet à la rigolade plutôt que de tenter l’analyse comme tu le fais de façon brève et juste. Le film était encore sur les écrans sur mon ciné de campagne au 15 août, ce qui est assez incroyable aujourd’hui. Et je suis un peu comme toi à me demander quel public il a pu toucher.

  2. J’ai essayé de sonder un peu autour de moi dans les cercles pas tellement cinéphiles, et les réponses tournent souvent autour de l’idée d’un “film hollywoodien à l’ancienne comme on en fait plus”, d’autant qu’une grande partie du public garde un souvenir agréable (quoique si j’ai bien compris sans raison) du premier “Top Gun”, et y voient là le retour d’un type de cinéma qu’ils ont aimé. Le côté “non sociétal” (en tout cas perçu comme tel) a pu aussi plaire, j’imagine. Après, la promo a été tellement axée sur ça (en tout cas sur l’idée que tout est fait sans CGI) que c’est peut-être simplement le signe d’un public qui répète la façon dont on lui a vendu le film. Et côté Hollywood, j’ai pas l’impression qu’il y ait eu beaucoup de concurrence ces derniers mois…

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