Albert Capellani

Albert Capellani Premiers courts-métrages

Drame passionnel (1906)
Mortelle Idylle (1906)
Pauvre mère (1906)
La Fille du sonneur (1906)
La Femme du lutteur (1906)
L’Âge du cœur (1906)
Aladdin et la lampe merveilleuse (1906)

 

L’univers de ces petits films est finalement très proche de celui du muet danois : ce sont des cauchemars bourgeois, quand bien même l’ancrage social est parfois populaire. C’est-à-dire des films de maintien (sobres, élégants, épurés), tendus par l’angoisse de l’adultère, et ruminant un horizon fantasmatique de vie bohème (spectacles itinérants, relations passionnées avec de mauvais garçons). Monde hautement civilisé et propre sur lui, surtout, que viennent percer d’abrupts éclairs de macabre, ou de vertigineuses déchéances sociales aux relents sadiques. Monde moral, enfin, les films se montrant particulièrement déterministes : de leur situation initiale ne peut découler que l’inévitable catastrophe, comme en témoignent les intertitres hautement programmatiques (pour exemple, les deux premiers cartons de L’âge du cœur, enchaînés à quelques secondes d’intervalle à peine : « UNION MAL ASSORTIE » / « INÉVITABLE TRAHISON »).

Cette sécheresse n’est pas un accident, elle résonne dans la forme-même des films. Au-delà des célèbres panoramiques (qui en coûtent, effectivement : lents et douloureux mouvements, parfois traînés par un personnage tout au bord du cadre), Capellani surprend par ses ellipses, laissant le spectateur se débrouiller pour relier les points. Car rien n’aidera celui-ci à se guider : on enchaîne de la même manière le passage de la chambre au salon, et le saut d’une saison. L’évènement majeur du récit pourra se jouer dans les toutes dernières secondes du plan, ou même du film, qui se coupe alors aussitôt le méfait commis, tel un coffre qu’on refermerait sur les doigts du spectateur trop curieux. Difficile même parfois de saisir du premier coup d’œil ce qui dans le plan importe, ce qui y raconte quelque chose… Dans ces années caractérisées par la sur-lisibilité, où le tableau prend habituellement tout son temps pour déplier la totalité de chaque situation, cette aridité étonne. Ces remarques étant évidemment à prendre avec des pincettes : le cinéma premier reste une période difficile à aborder sans marcher sur des œufs (l’esthétique nous en est tellement étrangère qu’il est difficile de départager ce qui tient de la saillie ou de la norme, d’un parti-pris ou d’une maladresse : notre regard anachronique a vite fait de projeter des choses qui ne sont pas là).

Un petit mot sur Aladin, qui diffère des autres courts par le sujet, mais aussi par une narration plus régulée, peut-être justement parce qu’il s’agit là d’une adaptation littéraire (serait-ce pour cela que Capellani les multiplia par la suite : par besoin ?). Malgré son exotisme oriental, le film emprunte clairement son imagerie aux diableries d’époque (le génie de la lampe écopant d’un corps cornu et difforme qui ne trompe pas). Mais bizarrement, la manière ne suit pas : le sérieux du cinéma de Capellani perdure, et tous ces tours de magie visuels se retrouvent dénués de la moindre trace d’excitation, de baroque, ou du plaisir (fût-il brouillon) dont ils suintent chez les forains et chez Méliès. Exécutés dans un souci de seule perfection technique, ces effets (pourtant splendides) glissent sur l’œil. Dans le muet danois (pour revenir à lui), le mélange de scénarios pulsionnels improbables et d’une forme rationnelle créait pourtant des étincelles ; ce n’est pas le cas ici, peut-être parce que l’on devine un cinéaste non pas fantasmer sous le bel habit, mais seulement consentir, le temps d’un film, à s’abaisser aux divertissements d’un certain public, à une forme qu’il méprise et qui l’ennuie.

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