​Spider-Man : Into the Spider-Verse Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman / 2018

Miles Morales, un adolescent de Brooklyn, se fait mordre par une araignée radioactive. Dans le même temps, le plus redoutable cerveau criminel de la ville a mis au point un accélérateur de particules capable d’ouvrir un portail sur d’autres univers. Son invention va provoquer l’arrivée de plusieurs autres versions de Spider-Man dans le monde de Miles…

 

Si l’on compare ce film à Scott Spillgrim, sur le plan de la simple capacité à adapter à l’écran les formes d’une bande-dessinée, Into the Spider-Verse remporte le défi haut la main. L’hystérie joyeuse typique du duo Lord & Miller, et quelques choix jusqu’au-boutistes (ces lignes dédoublées) offrent un écrin idéal à ce grand mélange d’univers visuels (puisque plusieurs déclinaisons de Spiderman sont amenées à cohabiter), dans un baroque festif et coloré.

Il n’y a pas que visuellement que le film joue la profusion et le trop-plein : l’humour, les circonvolutions d’un scénario méta, tout est mené avec une sagacité virtuose qui enterre le blockbuster hollywoodien lambda. Mais comme pour La Grande Aventure Lego, cette sur-maîtrise caféinée laisse quelque peu songeur, dans ce qu’elle a à la fois de séduisant et d’un peu vainement débordé. Cela se sent notamment par ce goût névrotique pour la vitesse, tant celle des dialogues et des gags que de la mise en scène à spirales et de son montage frénétique, clairement au fait de leurs prodiges et de leurs capacités – l’ensemble filant à toute vitesse sans réellement faire le choix de s’arrêter sur un plan plus important, sur un moment plus mystérieux, ou sur un personnage (si ce n’est pour clore ça-et-là proprement un arc scénaristique).

C’est tout le paradoxe : de même que le parti-pris visuel du film brille d’autant mieux dans les scènes grises, réalistes et triviales de la première partie (plutôt que dans les combats bariolés de la seconde), la réunion des cinq Spiderman a plus de goût et de valeur dans leurs simples scènes d’échanges dialogués, que dans leurs batailles collectives et spectaculaires.

Et c’est ce qui frustre un peu, ici : cette galerie de protagonistes très différents, liés de force, auraient pu faire le cœur du film (une sorte de buddy-movie au carré), et transcender le concept les ayant amenés à cohabiter. Ce désintérêt du film à leur égard s’explique assez simplement : ce qui passionne d’abord le duo Tim & Miller, et les réalisateurs du film par extension, ce ne sont pas ces personnages eux-mêmes, mais le croisement ingénieux d’univers qu’ils permettent de mettre en scène. Tim et Miller sont d’abord des cinéastes du méta (comme on a pu dire de J.J. Abrams qu’il fut à Hollywood le cinéaste des franchises, par ses nombreuses relances d’univers éteints via des récits métaphorisant ces reboots). Et sur ce point, Into the Spider-Verse est un aboutissement, en ce que le méta s’y retrouve intégré dans la chair même du pitch ou de l’habillage visuel composite, qui dissertent brillamment sur la manie plus générale de Marvel à croiser ses univers.

Mais tout cela pour en dire quoi ? Tout comme le méta de La Grande aventure Lego coinçait à déchaîner tout son lyrisme pour simplement nous vendre une marque de jouets, il y a une certaine gêne à voir ce film chercher à nous émouvoir sur les capacités des studios Marvel à optimiser ses franchises, et à bâtir la prospérité mercantile de son Cinematic Universe. Sous ses multiples arabesques postmodernes qui se moquent gentiment de leur modèle aux grands dialogues inspirés, Tim et Miller en finissent par ressasser eux-mêmes, avec un rire gêné, ces lourdingues messages-mantra (sois libre, accepte le saut de foi, etc.), ceux-là mêmes qui confèrent aux films Marvels lambdas cette platitude olympique. Cinéma baroque, en effet : toutes ces circonvolutions, tout cette dépense d’énergie, pour en arriver au final à un même état d’impuissance.

Spider-Man : New Generation en VF.

Réactions sur “​Spider-Man : Into the Spider-Verse Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman / 2018

  1. Il y a longtemps que je veux lire les derniers avis postés ici sur les films qui me parlent, ce qui depuis mon précédent passage fait pas mal d’avis… Je commence par le premier billet rencontré. Nous verrons quand j’aurai le temps d’aller plus loin (t’avais-je remercier pour la pub sur la sortie du ZA sur le Cinéma muet ? J’ai vu qu’Edouard l’avait fait).

    Du méta et une forme visuelle inédite, pour moi ça fait tout l’intérêt du film ! Et d’autant plus avec un personnage qui, depuis Sam Raimi, me fascine assez. C’est vrai que les réalisateurs auraient pu ralentir un peu pour se pencher sur le groupe et chacun des individus. Une scène au coin du feu avec une chanson comme dans un Ford. L’exemple n’est peut-être pas le meilleur ^^. Mais on a quand même un bon développement de l’ado Morales, et, pour la première fois au cinéma, l’introduction dans cet univers d’un super-héros latino de couleur. Même s’il est vrai que le personnage et sa famille sont parfaitement américanisés, pas de liens avec la communauté porto-ricaine, aucune culture s’y référant. Morales n’a pas grand chose à voir avec les Sharks de West side story.

    Le travail sur la forme est absolument énorme. Foisonnement, vitesse, pop art… Et puisque le pop art sert de référence, c’est à se demander s’il n’y a pas du fond dans cette forme. Non ? Enfin, moi j’ai été bluffé. Je te laisse un lien vers une bafouille qui tente de creuser ce lien justement, le pop art notamment et ce qu’on peut en dire.

  2. Hello Benjamin ! Pour être honnête, ça va être un peu difficile de te répondre précisément, j’ai vu le film il y a plus d’un an (le brouillon traînait depuis longtemps). Je crois que ma gêne est que finalement, au fond, le film n’assume peut-être pas qu’il n’est intéressé que par ça (le méta), et dévie d’une manière compliquée : dans le cas des “Lego”, une finalité du “c’est important de jouer” qui du coup se met à chanter les louanges de la marque mère, et ici d’une façon qui, malgré les arabesques virtuoses, n’a finalement rien de particulier à dire sur ce croisement d’univers (sinon “vive les multiples univers Marvel”). Du coup je peux admirer la manière, mais je ressens aussi la vacuité de l’ensemble.

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