La Loi de la frontière Ömer Lütfi Akad / 1966

À la frontière turque, la vie d’agriculteur est un calvaire, et les activités illicites représentent pour beaucoup une alternative tentante…

Légers spoilers.
 

Il s’agit d’une des œuvres restaurées par le World Cinema Project de Martin Scorsese – un film qui rend d’autant plus curieux qu’il est co-scénarisé et interprété par un grand nom du cinéma turc, Yılmaz Güney (qui a entre autres réalisé l’excellent Yol).

Passées les premières scènes brouillonnes, où il est bien difficile d’entrer dans le récit (de comprendre les enjeux, de s’y retrouver parmi les personnages), La Loi de la frontière est un film convaincant, notamment parce qu’il reprend à son compte les schémas du western. Et cela non par goût de la citation coquette (les moutons pour les vaches, etc.), mais simplement parce qu’il entend raconter la même chose que son modèle américain : la fondation d’un pays.

La femme au foyer venue des états de l’Est, comme une promesse de civilisation, devient ainsi, dans le film turc, l’institutrice venue fonder l’école en territoire illettré, espoir offert aux futurs enfants du village. Le sergent fait office de shérif, c’est-à-dire qu’il exprime la possibilité de la loi. Quant au “cow-boy”, figure du peuple, il hésite entre la promesse fragile d’une exploitation de la terre (légale, pacifiée, projetant un avenir sur le long terme), et le pragmatisme immédiat des petits délits qui permettent à son clan de survivre.

Sans réellement creuser ces personnages (c’est un peu dramatique pour l’institutrice, figure de mode sixties posée en plein milieu du cadre néoréaliste rural), Lütfi Akad parvient à créer de beaux portraits d’hommes taiseux et secrètement complices, en les personnes du bandit et de son antagoniste policier, et à colorer ce duo d’une fibre mélodramatique via l’enfant.

Reste le principal problème : on a beaucoup jasé, à sa ressortie, sur la pauvre qualité de la copie (effectivement en bien mauvais état), mais ce qui empêche de réellement s’immerger dans La Loi de la frontière, c’est tout autre chose : c’est la pauvreté du film. La mise en scène de Lütfi Akad est par moments très inspirée, notamment dans ses traquenards et fusillades, sachant à l’occasion transmettre un vrai sens du désastre (l’explosion des moutons), ou laisser les émotions percer avec économie. Il reste que les limites de la production (ou de la maîtrise technique) annihilent ces efforts à quasi-néant : multiplications des plans accélérés, arbitraire et parcimonie du montage-son, nuits peu crédibles, rapidité des retournements ou des rebondissements…

Tout cela manque de temps et de maîtrise pour correctement fleurir, et si La Loi de la frontière sait dépasser le statut de curiosité (“un western turc”), et s’il est infiniment plus aimable que l’autre film savant et déplaisant que le World Cinema Project avait exhumé de Turquie (Un été sans eau, de Metin Erksan), il n’a pas les armes pour tout à fait fonctionner.

Hudutların Kanunu en VO,
Law of the Border à l’international.

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