Et l’amour dans tout ça ? Shekhar Kapur / 2023

Zoe, documentariste accro aux applis de rencontres, multiplie les rendez-vous hasardeux à Londres. Un jour, son voisin et ami d’enfance, Kaz, lui annonce qu’il va suivre l’exemple de ses parents pakistanais, et faire le choix d’un mariage arrangé…

Quelques spoilers.
 

Ce film sortant des mains de l’excellent réalisateur d’Elizabeth, on est en droit de trouver que la chute est rude : la mise en scène arrive ici à un stade de standardisation lissée qui confine à l’anonymat, se réveillant seulement par quelques costumes et couleurs lors du segment pakistanais. Le film, cependant, s’avère relativement singulier par la manière pas si complaisante (quoique très prudente) dont il aborde son sujet du “mariage arrangé”, repimpé d’un retour en grâce (“mariage assisté”) aussi récent que douteux : sous les sourires et les manières conciliantes, Kapur en explore les failles et l’histoire pas si jolie que ça.

Ce film peut alors se voir, à sa manière, comme une exploration des cinquante nuances d’oppression que constitue le système d’une famille traditionnelle, sous couvert de chaleur humaine et de liens à célébrer. Mais il le fait en donnant constamment le change, en n’accusant personne, voire en épousant sans s’en rendre compte le point de vue réactionnaire de ses personnages : par exemple, quand il dévoile en la future mariée, au pays, une jeune femme fêtarde se rêvant citadine moderne et libérée, et non cette jeune fille traditionnelle timide, aux yeux baissés (soit l’image exotique et patriarcale que son futur époux avait aimé en elle), c’est une bonne surprise ; mais le récit, en réponse, suit alors immédiatement le fiancé dépité pour aller écouter ébahi le chant d’hommes bien entre eux “s’adressant à Dieu”, comme si le film était lui aussi déçu de cette décadence et cherchait réconfort dans la beauté des traditions – et c’est la douche froide.

Tout le film est ainsi, faisant des gestes dans plusieurs directions à la fois (ici un scud rieur au concept du white gaze, là cette sœur répudiée par la famille qui revient en tenant son bébé devant elle tel un bouclier, comme s’il était une monnaie d’échange à sa ré-acceptation…), pour au final ne jamais réellement prendre parti, en s’appuyant sur la seule direction d’acteurs pour exprimer ces ambiguïtés que la mise en scène refuse de présenter comme telles (c’est notamment frappant dans le plan de baiser final, moins évident que ce qu’on attendrait d’une comédie romantique, hésitant et se cherchant dans des gestes de défense compliqués). Bref, s’il y a là un film moins standard que sa forme inepte pourrait le laisser imaginer, il lui manque clairement un regard. Exactement à l’image du documentaire typiquement anglo-saxon (à savoir télévisuel) que tourne l’héroïne dans le récit – héroïne qui s’échine à filmer tous les moments les moins intéressants qu’elle croise sans construire le moindre regard ni point de vue : comme une triste mise en abyme des limites standardisées du film.

What’s Love Got to Do With It ? en VO.

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