Mission Roland Joffé / 1986

Au milieu du XVIIIè siècle, le Frère Gabriel, un jésuite idéaliste, fonde une communauté pacifiste chez les indiens Guarani. Quelques années plus tard, l’Espagne a décidé du sort des missions jésuites : elles doivent disparaître…

Quelques spoilers.
 

Le film s’ouvrant, il est difficile de rester insensible aux charmes du cinéma des années 80-90, à ces films d’auteur à la fois populaires et artistiquement exigeants. L’ouverture sévère, le parfait travail de cadre croquant le spectacle des corps et des éléments tout à la fois, l’indexation de la mise en scène au récit et aux enjeux des personnages, sa discrétion aussi… Le style est souverain.

On déchante progressivement cependant. Ce n’est pas tant l’académisme latent du film, réel mais confortable, qui gêne ici le regard, que ce qu’induit tout académisme : un profond impensé. Tel Malick vingt ans plus tard, mais avec moins d’ambiguïtés, Joffé plonge bras ouverts dans l’imagerie rousseauiste, tout en la prolongeant d’un fantasme chrétien de jardin d’Eden à recréer – cette pensée-même qui mena bateaux et armées coloniser le nouveau monde, et dont Joffé épouse pourtant sans réserve l’imagerie. Toutes les puissances expressives du film sont réquisitionnées pour chanter cette pureté, avec une parenté terrifiante entre le spectacle qu’on met en scène pour le pouvoir clérical en visite (enfants alignés, chants angéliques, vêtements blancs…) et celui que le film met en place pour fasciner et émouvoir son spectateur.

L’impensé est plus généralement celui de cette découpe entre “bons et méchants prêtres” : autant dire entre “bon et méchants colons” (le superbe jeu de Jeremy Irons, d’un calme pacifique et feutré, idéalise totalement le personnage qu’il interprète, à peine interrogé par le film). Cela mène à des images parlantes, comme ce parallèle involontaire dans la bataille finale entre les jésuites blancs commandant aux indiens qui meurent, face aux envahisseurs blancs commandants eux aussi à leurs esclaves indiens qui crèvent… Le film a bien quelques nuances à faire valoir : la question du sacrifice à faire pour un bénéfice à long terme (sauver l’ordre jésuite en fermant leurs communautés), ou la question de savoir s’il y a un sens à refuser la violence. On peut aussi mentionner le dialogue final, qui responsabilise et condamne soudain des personnages dont on a alors surtout, jusqu’ici, partagé les états d’âme…

Mais tout cela traverse le film sans jamais le remettre en question, et en finissant sur une image outrée de jardin d’Eden (les enfants soudain totalement nus, repartant créer une nouvelle civilisation avec l’art en main), on se dit que Joffé n’a tout simplement pas réfléchi à ce qu’impliquait son projet, ou à ce que charriait son regard. On jouit nous-même des charmes de son film au prix d’un aveuglement volontaire et forcé au contresens qui le travaille, en se rendant sourd à ce bruit de fond malaisant, en vivant le fantasme chrétien évangélisateur jusque dans ses extrêmes kitschs – en sachant très bien qu’on s’émeut d’un mensonge, mais en y allant quand même pour le goût du lyrisme et la beauté du voyage.

The Mission en VO.

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