Bruno Reidal Vincent Le Port / 2021

Le 1er septembre 1905, Bruno Reidal, jeune paysan séminariste cantalien de 17 ans, s’accuse du meurtre de Francois Raulhac, 12 ans. En prison, pour tenter de comprendre son geste, le professeur Alexandre Lacassagne et deux autres médecins lui font raconter sa vie.

Légers spoilers.
 

L’une de mes grandes terreurs, depuis bien 15 ans, est de me retrouver à devoir visionner le film (ou n’importe quelle création) d’un pote ou même d’une simple connaissance, et de devoir ensuite lui donner mon avis dessus – un cauchemar. C’est donc avec une lâcheté savante que j’ai évité une à une les sorties en salles de la plupart des films réalisés par des personnes que j’ai connues de près ou de loin (quand bien même fût-ce par l’intermédiaire d’un écran d’ordinateur). Ce texte est donc d’abord celui d’un soulagement : Bruno Reidal est un excellent film, inespéré même pour un premier long – certes un brin fragile ou maladroit ça-et-là, manquant sans doute un peu d’ampleur et de risques dans sa structure assez attendue. Mais il ne fait que de bons choix.

On est tentés, évidemment, de tracer une filiation avec la neutralisation dédramatisée dont a pu faire preuve un film comme Moi, Pierre rivière (sur un sujet semblable, et déjà avec les accents du coin), ou plus généralement avec le cinéma de Bresson. Bruno Reidal s’y assimile en partie, par son refus de l’effet ou de l’évènementiel, ou par la précision froide de sa reconstitution anti-spectaculaire, mais globalement je trouve qu’il relève d’une autre démarche. Une démarche contraire, même : ses manières rentrées, pareilles à celle de Reidal, ou ce calme bienvenu parvenant à déjouer la plupart des effets de suspense morbide, travaillent plutôt ici à construire un rapport d’identification au personnage. Passée la nature macabre des fantasmes qui le travaillent, Reidal ne nous communique au fond que le très commun de l’adolescence : la sexualité envahissante et honteuse, l’idéalisation des camarades quasi-déifiés, le refuge névrosé dans le travail, la tempête de pensées avec lesquelles il faut se débrouiller seul, le sentiment d’être une anormalité au sein de la communauté.

Il y a ainsi une volonté paradoxale de ne pas faire de Reidal une énigme, un objet de fascination abscons qu’on regarderait comme de derrière une vitre : les raisons de ses pulsions resteront certes inexpliquées, mais le personnage est le premier spectateur de cette incompréhension, qu’il partage avec nous, affolé. L’utilisation des musiques (bien loin du projet Bressonien, là encore) accompagnent le chemin intérieur du garçon plus qu’elles ne le commentent, et les faits relatés ne tiennent pas du récit eunuque qui se couperait froidement de l’expérience du monde : les évènements baignent au contraire dans les aléas du climat, les beaux jeux de lumière et de soleil, nous immergeant avec calme dans le contexte de cette région et des humeurs ayant entouré ce meurtre.

Bref, c’est le beau succès du film que de nous faire partager sans peine les émois de Bruno, son aventure intérieure, sa gêne face aux docteurs qui l’interrogent crûment, le film semblant essayer de lui tenir la main dans son récit plutôt que de reporter ses méfaits avec une neutralité désintéressée, qui serait au fond une forme de surplomb… Sans sentimentalisme ni séduction empathique, et sans sacrifier à la sobriété factuelle de l’ensemble, on aura parfaitement épousé, le temps d’un film, les courbes de cette vie.

 

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