Atlantique Mati Diop / 2019

Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers d’un chantier, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, qui laisse derrière lui celle qu’il aime, Ada, promise à un autre homme…

Légers spoilers.
 

Atlantique est de ces films dont la force repose tout entière sur une proposition, comme on le dirait d’une recette aux ingrédients très justement trouvés, à l’alchimie évidente. Et qu’on pourrait résumer ainsi : les disparus en mer, question éminemment politique, reprend à l’écran de par sa reformulation fantastique (voire horrifique) tout son poids traumatique et intolérable.

Mati Diop, c’est ce qui frappe immédiatement, sait trouver le langage d’une irréalité propre au nouveau siècle. C’est la peinture d’un Dakar sale et pragmatique, un Dakar de labeur, parfois égaré dans le fantastique de ses volutes de pollution grises, donnant l’impression d’une cité toute moderne endormie par quelque opium. Ou c’est encore l’immensité opaque d’un océan métallique face aux lumières artificielles des nightclubs, phosphorescentes comme l’écume en plein nuit… La manière dont tant de migrants ont fantasmé l’occident qu’ils désirent rejoindre, occident à jamais marqué par les vies sans nombre qui se sont perdues pour son mirage, accouche ici d’un Sénégal à la poésie macabre, nouvelle, où la familiarité du quotidien prend un tour froid et terrifiant, dans une Afrique à la fois déromantisée (triviale, réaliste, libérale) et hantée de croyances archaïques.

On n’a pas souvent eu l’impression si saisissante de découvrir l’Afrique (son quotidien, sa jeunesse, sa réalité, ses rêves, ses soucis) au cinéma ; il semble paradoxalement, par certains échos qui nous arrivent (et qu’il m’est difficile de vérifier), que le tableau qui en est fait par Mati Diop (mariage forcés, jeunesse pauvre traînant en boîte…) est totalement décalé, à côté de la plaque, par rapport à la réalité de la vie ordinaire des jeunes de Dakar. Mais ce paradoxe, au final, semble presque anecdotique : ce qui est rare et précieux ici, c’est le renouveau du regard occidental posé sur l’Afrique. À quand remonte la dernière fois que le cinéma européen a inventé une manière de regarder ce continent ? Le dernier nom qui vienne en tête est celui de Claire Denis (pour qui Mati Diop, d’ailleurs, a travaillé), c’est dire la rareté d’un regard neuf.

Voilà pour les qualités d’Atlantique, qui sait particulièrement bien mettre en scène le soulèvement progressif de son cauchemar ; le film peine, cependant, à y donner suite. Une fois le flirt fantastique passé, les explications sont ramenées sur le devant de la scène (la discussion avec la horde au bar, l’enquête qui se précise…), et à quelques exceptions près (la course contre le soleil), le film perd peu à peu de son pouvoir de fascination, enchaînant les scènes faibles qui devraient faire climax (voir, par exemple, la très paresseuse nuit d’amour, ou la phase finale arrivant artificiellement au bout d’un récit qui n’en a pas du tout préparé l’avènement). L’incapacité du film à résoudre l’énigme posée par sa forme-même, si l’on peut dire, laisse l’impression mitigée d’un concept qu’on n’a pas su pleinement réaliser.

On retiendra, en attendant confirmation pour Mati Diop, l’extraordinaire acuité de la photographie de Claire Mathon, qui aligne les fulgurances (l’écœurement de la chambre nuptiale à la lumière trop blanche, les océans aux reflets de fer, les chantiers pris dans la brume…) – et qui s’impose cette année, en seulement deux films, comme l’une des meilleures chef-opérateurs/rices en activité.

 

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