Amer Hélène Cattet & Bruno Forzani / 2009

Entre réalité et fantasmes oppressants, dans un voyage charnel où plaisir et douleur s’entrecroisent, Ana est confrontée au désir à trois moments-clefs de sa vie…

 

Ce premier film du duo Cattet-Forzani séduit forcément de par sa densité formelle, et par son jusqu’au-boutisme (un film presque entièrement muet). On peut également apprécier la liberté avec laquelle le récit saute aisément de péripéties scénarisées à des passages plus purement abstraits ou rythmiques, entêtés et maniaques, comme on suivrait les sinuosités d’une pensée fiévreuse.

Tout cela, néanmoins, a du mal à cacher les normes sous lesquelles le film croule. La première, bien dans l’ère du temps (Mandico, Gonzalez…), c’est le collage érotico-vintage, qui manie l’héritage du genre et son cortège de pulsions avec une distance précieuse, un peu vaine, qui les transforme en images et en annule de fait tout le trouble, tout le pouvoir de subversion. La seconde norme, elle est plus datée : c’est celle des jeunes cinéastes des années 90 (Kounen, Dupontel, ou toutes les premières tentatives de genre françaises…) qui enchaînaient les effets formels ostentatoires (accumulation de très gros plan rapides, étalonnage charal, angles tordus, montage stressé) en touillant une vision torve des rapports humains, souvent via le relais d’une imagerie éculée (qu’on retrouve ici, par exemple, dans le grand manoir bourgeois vicié du début du film).

Autant d’entraves qui empêchent Amer de toujours bien raconter ce qui semblait l’intéresser, à savoir l’histoire de la sexualité d’une jeune femme : on en retient surtout l’envie de faire joujou avec le Giallo. Or quelle est au fond la pertinence d’un tel déchaînement maniériste ? Le maniérisme historique, celui d’Argento par exemple, n’était qu’une nécessité pour continuer Hithcock sans le photocopier, une accentuation du trait pour continuer à croire à ce qu’on filmait ; mais plus encore, de par ces déformations et exagérations, Argento accouchait quelque chose du cinéma d’Hitchcock, il en exprimait l’inconscient, tirant sur ses fondements sadiques secrets, en déduisant une véritable jouissance face au spectacle la souffrance… L’exégèse ouvrait à de nouveaux horizons : une histoire, de fait, continuait à s’écrire. Qu’est-ce qu’Amer dit, lui, du cinéma d’Argento et de bien d’autres ? Qu’en accouche-t-il réellement, au-delà de l’hommage formel hystérique ? S’il est virtuose, le film n’en apparaît pas moins comme totalement refermé sur lui-même et ses fétiches cinéphiles, adorés dans un déchiquetage frénétique – un fantasme en vase-clos, qu’on radote et saccage. Le résultat est étouffant, et c’est à la limite une personnalité qu’on pourra lui reconnaître : celle d’être un film maladivement claustré dans sa cinéphilie, comme l’est la jeune fille dans ses fantasmes et son manoir.

 

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