Maciste Luigi Romano Borgnetto, Vincenzo Denizot / 1915

Poursuivie par une bande de conspirateurs, une jeune femme se réfugie dans un cinéma et regarde le film Cabiria. Elle décide de réclamer de l’aide à l’homme fort de ce film, Maciste, et le recherche dans les studios de la société de production Itala Films…
 

Et c’est ainsi qu’on voit s’étaler, à l’écran, l’application absolument littérale d’un fantasme de spectatrice ado qui, dans sa fan attitude, confondrait l’acteur musclor et le héros qu’il incarne à l’image, comme s’ils n’étaient qu’une seule et même entité… Un délire jamais interrogé par le film, qui prend soin de ne pas dissiper ce fantasme, se gardant bien de pointer cette absurdité posée là, en évidence, au milieu de chaque scène.

Soyons clairs, le film n’a rien de fou. Mais il y a un plaisir étrange à voir ce postulat débile, tout comme son côté bourrin (déroute des méchants à coup de tartes dans la gueule), maniés par une mise en scène toute en tenue. Sobriété des cadres, épure des compositions, élégants travellings (d’ailleurs utilisés ici de manière plus parcimonieuse, et plus convaincante, que dans Cabiria)… Ce hiatus n’a en fait rien d’accidentel : pour articuler ces extrêmes (le défouloir d’une part, la lucidité de l’autre), le film crée de nombreux ponts.

Déjà par l’autodérision (Maciste qui détruit un meuble entier pour ouvrir le tiroir dont il n’a pas la clé…), qui dénote une semi-conscience du ridicule du personnage, et de l’idéal masculin qu’il incarne – le film est avant tout une comédie d’action. Ensuite par une ambiance à l’irréalisme latent, tirant vers le sérial (structure épisodique, méchants qui finissent amochés à chaque fin de bobine) : comme dans Les Vampires de Feuillade, la multiplication des cachettes, stratagèmes ou maquillages camoufleurs, sans parler de la figure du grand méchant tirant toutes les ficelles, colorent fortement le récit de fantasme.

Mais le meilleur atout du film reste son côté un peu méta – jamais complètement acté, jamais complètement nié. Maciste est un “spin-off” de Cabiria, mais c’est surtout un regard très direct posé sur le public des deux films : sur sa manière de se projeter dans l’univers à l’écran (c’est La rose pourpre du Caire qui ne dirait pas son nom), ou sur ses fantasmes de sauveur viril et indestructible, que le film avalise totalement en même temps qu’il s’en amuse, comme pour en désigner l’incongruité – or la façon dont le film regarde cet idéal mâle interroge fatalement, quand on voit la parenté terrible de ce corps adulé avec la future figure de Mussolini…

Cela ne fait malheureusement pas tout. Ce qui manque à Maciste, au-delà d’un bon paquet de mètres de pellicule (des scènes entières sont sucrées de la copie qu’il nous reste), c’est une capacité à dépasser le fonctionnement d’un film à sketches (qui plus est forcément inégaux). Occupé à généreusement contenter son public, de plein pied dans le ludique, le film se donne rarement l’occasion de réellement se dépasser, de dessiner un mouvement long qui pourrait aider à garder l’aventure en mémoire. Une vraie prise au sérieux de l’argument mélodramatique au cœur du film (la séparation mère-fille), qui n’est ici qu’un prétexte, aurait peut-être permis à Maciste, sans avoir à renier sa dimension de comédie d’action, d’être autre chose qu’un ingénieux divertissement.

Autre titre en VO : Maciste, L’Uomo Forte. [extrait]

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