Le Convoyeur Nicolas Boukhrief / 2003

Petite société de transport de fonds, la compagnie Vigilante est en pleine crise, victime de trois violents braquages dans l’année, qui n’ont laissé aucun survivant. C’est dans ce contexte difficile qu’un homme, Alexandre Demarre, se présente un matin au centre-fort de Vigilante pour entamer sa première journée de travail…

 

Ce qui frappe en premier lieu en voyant Le Convoyeur aujourd’hui, c’est son défilé de (futurs) acteurs connus : Dupontel, Berléand, Dujardin, Boisselier, Atika, Laudenbach, Perron… Pourtant, à part le jeu crispé d’un Dupontel bien décidé à surligner les névroses de son héros, ce casting est peu l’occasion de tirer la couverture à soi, ou d’aligner les performances. La mise en scène de Boukhrief ne fait tout simplement pas de ces comédiens le centre de son attention – elle opère comme à distance.

Et c’est un peu la qualité comme le souci du film. S’il n’est pas compliqué de remarquer en quoi il se démarque du tout venant français, on peine également longtemps à comprendre ce qui le motive, sinon des conventions : le style un peu sec, crispé, replié sur son défilé de freaks, n’a pas grand chose d’autre à produire que de la nervosité sans goût et du gravitas artificiel (qu’est-ce que ce dernier plan a à dire, par exemple ?), une tension monocorde et pas très fine, le tout justifié par une tragédie vide (trauma expédié et sans signification, qui ne sert que de péripétie scénaristique justifiant l’arrivée d’un personnage problématique dans le milieu des convoyeurs). On retrouve là une tare commune à nombre de tentatives du cinéma de genre en France – qui n’eurent pas tant quelque chose à dire, ou une vision à transmettre, que simplement l’ambition ratatinée de faire du cinéma de genre (avec le style très volontariste qui va avec : peu instinctif, peu intuitif, sans mystère, un regard sur le monde résumable à un filtre bleu).

Quelque chose sauve le film, néanmoins, au-delà de ses quelques originalités (son final aux limites de l’abstraction, le récit en quasi huis-clos, le contre-emploi de Dujardin…). C’est la façon dont la tension du film ne tient pas tant à la configuration des scènes d’action (des blindés que tout le monde voudraient attaquer) qu’à une tension sociale. Boukhrief fait le portait d’une galerie de résidus d’autres métiers (para-vigiles, para-policiers…), tous brisés et pathologiques à leur façon, compensant dans diverses drogues ou maniaqueries, et dont la vie hors du travail est inexistante… Sans le surligner, puisqu’il a l’excuse du genre (ce qui est censé l’intéresser, c’est le camion), le film fait ainsi un tableau viscéral de la douleur du corps social – c’est la raison même pour laquelle les acteurs ne se volent pas la vedette : ils sont approchés comme les multiples visages, interchangeable, d’une frange oubliée de la société (dont le décor de banlieue vide et sinistre, sans vie, n’est pas sans rappeler les visions phobiques d’un Blier).

C’est encore la meilleure dimension du Convoyeur : donner à sentir le quotidien d’un job de merde. Cette façon dont le transport de fonds broie d’angoisse les chauffeurs devient alors, à travers la caméra de Boukhrief, une sorte de parabole très pure, belle parce qu’évidente, de la façon dont une société de l’argent broie ses anonymes petits travailleurs.
 

Réactions sur “Le Convoyeur Nicolas Boukhrief / 2003

  1. Non ! (je connais relativement mal DVDclassik, à tort semble-t-il…)
    C’est un beau texte, quoique je trouve qu’il expédie un peu vite le rapport du film à la resucée du cinéma de genre français de ces années-là. Et si on est effectivement pas dans un souci de preuve de ses capacités techniques/formelles comme “Nid du guêpes”, ni dans un exercice référencé, le film a le même déficit émotionnel et humain.

  2. Ce n’est pas un texte rétrospectif, il fut écrit à la sortie du film.
    Quand j’ai découvert le film, en 2004, je m’y retrouvai en tous points.

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