Djeli, conte d’aujourd’hui Fadika Kramo-Lanciné / 1981

Fanta et Karamoko, venus du même village, sont allés étudier à la moderne Abidjan. Ils s’aiment et veulent se marier. Mais à leur retour en vacances, ils découvrent que leur parents et les traditions le leurs interdisent…

Quelques spoilers.
 

Le film de Fadika Kramo-Lancine m’évoque en partie le cinéma d’Oumarou Ganda, dans sa manière “élémentaire” de réduire chaque moment à l’essentiel, puis de les faire s’enchaîner comme des cubes narratifs limpides, fermement filmés. C’est évidemment un peu misérable que de chercher automatiquement à rattacher un film d’Afrique subsaharienne à l’un des seuls autres que j’ai vus du continent, alors qu’ils ne viennent même pas du même pays… Disons en tout cas que je retrouve ici une forme qui me semble particulièrement coller à la tradition orale africaine, comme un manteau sur mesure taillé aux manières de raconter du continent – des captations plus platement réalistes auraient eu tendance à transformer chaque échange (comme toujours très signifiants, très explicites) en démonstration de propos.

Le propos ici, ou tout du moins le sujet, est justement une tarte à la crème : amour véritable contre mariage de raison, ruralité traditionnelle contre ville occidentalisée… Le tout sous les yeux d’une nouvelle génération urbaine dont l’habitus (affreux plans d’Abidjan) n’est pas franchement filmé avec amour1. Mais ce marronnier de l’époque, Kramo-Lancine parvient à lui donner tout son poids. Son film n’est convaincant que par intermittences (entre deux plans forts, Djéli est souvent trop commun), mais sa manière particulière parvient à transformer des situations très simples en moments aiguisés (le face à face final, notamment, est saisissant). Le village lui-même, dont les péripéties calmes et lisibles ont d’abord quelque chose d’inoffensif et d’indolent, finit peu à peu par sembler étouffant, au diapason du caractère insoluble de la situation – qui n’est d’ailleurs résolue que par un deus ex machina peu encourageant (un homme plus vieux vient imposer son avis, il aurait tout aussi bien pu imposer le contraire ; rien n’a au fond changé, cela reste un patriarche qui décide pour les autres).

Enfin, peut-être est-ce le fait d’un œil occidental non habitué, mais les interférences constantes entre le village sorti d’un autre siècle (que visiblement l’on regrette, comme en attestent les premières scènes rêvant de griot) et les irruptions de modernité (qui parcourent le film comme un fil rouge parasite : ici une voiture, là un bâtiment en ciment au coin du plan…), sont particulièrement troublants. Le film en a visiblement conscience, s’ouvrant sur le plan énigmatique d’une famille riche, urbaine, et occidentalisée, observant la tradition en action (un trio de musiciens posés au milieu du salon). Un moment saillant auquel le film, comme souvent, ne sait pas réellement donner suite, nous laissant seuls face à cette image étrange d’une tradition mise sous verre, à la fois respectée (le film, c’est l’un de ses côtés aimables, passe de longs moments à écouter la musique) et déjà condamnée au folklore.

[extrait]

 
 

Notes

1 • En cela (libérer la jeunesse tout en constatant que c’est au prix de déchirer l’âme du pays), le film évoque beaucoup celui de Naruse – on ne peut plus à l’opposé dans la manière (essentialisation à l’os pour l’un, mille dentelles narratives pour l’autre), mais assez proche dans le sentiment paradoxal qu’il laisse au spectateur.
 

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