SparkShorts Pixar (2018-2021)

 

“For the Birds”, “Partly Cloudy”, “Day & Night”… Les courts-métrages Pixar, jusqu’à assez récemment (si l’on excepte ceux ne consistant qu’en des déclinaisons des films déjà sortis en salle), répondaient à une ambition comparable à celle de leurs longs-métrages : c’étaient des films où le pitch, l’univers déplié, le récit émotionnel et leur puissance métaphorique travaillaient ensemble à se résoudre les uns les autres, en un tout parfaitement cohérent et autonome. Ils constituaient en cela une sorte “d’école d’excellence”, porteuse d’une réelle ambition cinématographique (au point que certains films, malgré leur très courte durée, furent produits sur plusieurs années). C’était aussi plus pragmatiquement l’occasion, pour le studio, d’expérimenter en repoussant certaines de ses limites techniques (figurer longuement des humains pour la première fois dans Geri’s Game, travailler le photoréalisme des éléments pour Piper ou The Blue Umbrella).

Ces courts cela dit servaient également à permettre aux jeunes talents du studio de faire leurs preuves1. Et plus récemment (Bao), avec des résultats d’ailleurs pas toujours convaincants (Sanjay’s Super Team), ils furent aussi utilisés pour mettre en avant des minorités, que ce soit au sein du film (via ses personnages), ou derrière la caméra – sans doute dans une volonté de répondre aux reproches qu’avait alors essuyé le studio à ce sujet.

Ce sont ces deux derniers traits, et seulement eux, que reprend à son compte le programme Sparkshorts, dont chacun des courts est produit par Pixar en un délai express (six mois) et avec un petit budget, délégué à des employés venus de tous les départements de l’entreprise. L’idée (tout du moins officiellement) est de faire naître une veine “indépendante” au sein du studio, de l’ouvrir à de nouveaux récits, et de déceler les cinéastes Pixar de demain. Débuté en 2018, Sparkshorts compte déjà dix courts-métrages (dont trois réalisés en 2D), contre la maigre fournée annuelle de leurs courts habituels. Quel bilan en tirer ?

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Twenty Something (2021)

Du côté des minorités, c’est un festival (personnages gays, noirs, latinos, autistes, femmes au milieu d’hommes, personnages âgés, enfant “spécial”…), les films étant d’abord conçus dans l’idée de faire de ces différences un sujet, avec un volontarisme et un didactisme assez lourdingues, qui dans le pire des cas constitue le seul et unique horizon des films (Purl, Loop, Float…). Car c’est d’abord là, dans ce renouvellement des représentations et des regards, que Pixar entend désormais se régénérer : la perfection des films n’est plus une visée – ceux en 2D font état de recherches graphiques relativement timorées (comparées à celles du court animé lambda visible en festival), et les autres usent d’une 3D franchement laide et dépassée (c’est notamment frappant sur pas mal des visages humains, comme dans Purl ou Wind), avec un travail lumineux pas toujours convaincant.

Il reste bien quelque chose de l’art des courts Pixar “traditionnels” : certains films Sparkshorts en conservent un goût pour la narration muette, ainsi qu’un penchant pour l’allégorie (quoique souvent ici exprimée sur le mode insistant et répétitif de la métaphore filée). Celle-ci ne retrouve la “note” Pixar que quand elle n’est pas sa propre fin éducative, mais qu’elle produit un système au sein du film (l’échange de corps dans Out, le corps décomposé dans Twenty Something…) permettant d’en libérer un potentiel cinématographique qui fait que le propos, ou la minorité à laquelle appartient les personnages, ne deviennent plus les seuls points de fixation de l’œuvre.

Il reste que voir des films si volontaristes dans leur discours, d’emblée clos sur le message à transmettre et à recevoir, sans la moindre mésaventure dans ce parcours tout tracé, laisse songeur sur la façon dont une partie de la critique US a salué la “maturité” de ces courts-métrage nouveaux. Les thématiques abordées sont certes parfois dures, ou en tout cas étonnamment concrètes (les combats de chiens dans Kitbull, l’exploitation ouvrière dans Smash and Grab, la répression normative dans Float ou Purl), mais le happy end souriant qui s’y appose, comme si chaque sujet sociétal était recyclé à cette rondeur Disney un peu idéaliste et irréaliste, n’en fait jamais des objets dangereux (à ce petit jeu, seul le maladroit Wind va au bout des choses).

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Wind (2019)

Bref, l’ensemble est un corpus qui laisse dubitatif, au sens où il ne met pas spécialement en avant des talents singuliers de la firme (les cinéastes sont visiblement d’abord choisis pour leurs capacités à parler de sujets sous-représentés, et non pour une touche plus osée, ou plus expérimentale, qui apporterait de l’oxygène aux normes formelles ou narratives du studio). Faute d’avoir mieux à proposer, le programme Sparkshorts ressemble donc à une sorte d’alibi, Pixar y refourguant la gêne du manque de diversité de ses personnages et de ses cinéastes, ne “produisant” ces films qu’au sens le plus fonctionnel et détaché du terme. Il est certes possible que ces courts puissent inspirer et influer les films phares du studio, mais en l’état ils semblent plutôt écrasés par la qualité de ceux-ci, au point qu’on croit parfois voir dans Sparkshorts un exercice passif-agressif d’humiliation et de disqualification (« on donne carte blanche à de nouvelles têtes étrangères au sérail, voyez la médiocrité qui en ressort »), d’autant plus souligné par la relégation de ces courts à la plateforme streaming Disney.

Cela ne rend pas tous ces courts-métrages nuls, loin de là, mais la plupart restent moins convaincants que bien des travaux de fin d’année des grandes écoles d’animation – ce qui, avec les moyens d’un studio tel que Pixar, est plus qu’un constat d’échec. On ne manquera par ailleurs pas de constater que les courts qui ressortent un peu du lot (Kitbull, Out, Burrow) sont ceux mettant en scène des animaux, qui permettent peut-être d’explorer des émotions un peu plus simples, un peu plus universelles – des émotions capables d’être partagées par-delà un programme.

 
Purl (Kristen Lester, 2018)
Smash and Grab (Brian Larsen, 2019)
Kitbull (Rosana Sullivan, 2019)
Float (Bobby Alcid Rubio, 2019)
Wind (Edwin Wooyoung Chang, 2019)
Loop (Erica Milsom, 2020)
Out (Steven Clay Hunter, 2020)
Burrow (Madeline Sharafian, 2020)
Twenty Something (Aphton Corbin, 2021)
Nona (Louis Gonzales, 2021)

Seuls les trois premiers films ont été mis en accès libre par Pixar.

 
 

Notes

1 • Ce fut cela dit, sur ce point, un échec cruel : hormis John Lasseter, réalisateur des tous premiers courts, la plupart des cinéastes ayant fait un court-métrage Pixar ont raté leur passage au long. Jan Pinkava (réalisateur de Geri’s Game) s’est ainsi vu retiré son projet personnel Ratatouille au profit de Brad Bird. Gary Rydstrom (réalisateur du génial Lifted) a vu son projet Newt finalement annulé par le studio après trois ans de travail. Peter Sohn (réalisateur du très beau Partly Cloudy) a vu son film Le Voyage d’Arlo redistribué à plusieurs réalisateurs-piliers de la firme qui l’ont fini à sa place. Seul Mark Andrews (One Man Band) passa au long… pour en éjecter la réalisatrice (Brenda Chapman, qui portait le projet Rebelle). Bref, pendant longtemps, les courts ont surtout été la preuve de l’incapacité du studio à se renouveler par-delà ses pontes et les normes rassurantes qu’ils faisaient perdurer. Les choses semblent néanmoins récemment changer, puisque les cinéastes de courts réussissent enfin leur passage au long : Enrico Casarosa, réalisateur du court La Luna, a ainsi réalisé seul le récent Luca ; et à moins d’une reprise in extremis du projet (dont Pixar a le secret, quoique jamais si tard dans leur production), Domee Shi, réalisatrice du court Bao, sortira bien Turning Red (qu’elle a réalisé seule) en 2022.
 

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