Quelques spoilers.
En préambule, et comme à chaque fois qu’on doit parler d’un Pixar, il faut d’abord en passer par ces formalités d’usage : souligner combien la matière du film, son incarnation, son perfectionnisme, sont un délice de tous les instants. Rien que l’animation 2D mono-ligne des Terry est un plaisir des yeux, qu’on pourrait observer des heures durant ; de même pour l’humour pince-sans-rire qui leur est associé, mélange un peu flippant de voix souriante et de cynisme corporate. On pourrait tout autant célébrer le jeu de Tina Fey, le ludisme ingénieux des transpositions trouvées à des concepts pas toujours simples, ou encore l’excellence de la captation sonore du piano (un délice pour l’oreille, qui donne à lui seul envie d’avoir un instrument entre les mains).
Passées ces habituelles politesses, et écartées ces qualités qui sont autant de diversions, on peut alors se confronter au film. Et constater, avec dépit, que Soul continue de se cogner aux limites à présent connues du studio, et que les dernières années ont rendues de plus en plus lisibles. Suite spirituelle de Vice Versa, Soul en reprend dès son premier acte les mêmes automatismes gênants, consistant à réduire les ambiguïtés de la vie à des schématismes (des personnalités sous forme de parcs d’attraction avant, sous forme de diagramme façon The Sims ici). Il y a quelque chose d’assez roublard à donner mollement le change de ces visions mignonnes par une surcouche d’ironie (tout ce qui fait appel aux années 80 et à leur culture d’entreprise), quand la peinture même que fait Pixar de l’âme humaine prend les formes les plus standardisées du management US (on n’est pas loin des sigles MBTI). À l’autre bout du récit, alors que son final approche, c’est un même écueil qui nous attend : celui du développement personnel et de ses mantras à vivre au jour le jour.
Entre ces deux redoutables programmes, le film a bien peu de place pour « jazzer » comme il le dit lui-même, c’est-à-dire pour nous surprendre et se surprendre un peu. À la limite, plutôt que l’afro-américanisme dont le studio fait sa publicité pour se façonner un bouclier woke, c’est via l’identité de genre que Soul s’ouvre quelques portes inattendues, par le naturel avec lequel un esprit et ses manières viennent tout naturellement habiter un corps autre, créant d’inattendus mariages et croisements qui surprennent à fonctionner avec tant de naturel – une dimension à laquelle Pixar a peut-être été aveugle (l’échange de corps semble surtout pour les réals être un levier comique un peu ronflant), et que le studio a en tout cas le bon goût de ne jamais surligner ou désigner. Car c’est pour le reste le dernier problème de ce film : son terrassant didactisme, qui décompose et explicite un propos bien propret, comme on ferait un TEDx au spectateur sur le sens de la vie. On est loin, bien loin du jazz…
En rejetant un œil à Vice Versa (film qui, pourtant, ne m’avait pas vraiment convaincu), on s’aperçoit que l’univers candide n’y avait de prix que parce qu’il dialoguait avec une violence extrême (une dépression enfantine représentée sans détours), et que sa résolution avait la force d’être un climax d’une totale abstraction : il y avait encore là une part de risque et de mystère. Et c’est surtout cela que Pixar perd à une vitesse hallucinante, au fur et à mesure qu’il optimise ses récits pour en faire des armes atomiques du divertissement. Pete Docter, le joker tranquille ayant traversé toutes les tempêtes de l’histoire du studio, est à présent devenu son pilier et sa norme. Et c’est bien là le souci : quand on a plus de joker en main pour slalomer entre les problèmes, il n’y a plus d’autre choix que de se confronter à la qualité de son jeu de cartes… À croire naïvement qu’ils n’ont besoin de se révolutionner que sur le plan des représentations et des minorités, les studios Pixar semblent condamnés à décevoir sur tout le reste.