Pixar, l’heure mineure (#2) Luca / 2021  •  Alerte rouge / 2022  •  Buzz l'Éclair / 2022

 

Il y a quelques années, je m’étais penché sur deux productions “mineures” de Pixar – ces suites ou ces films moins ambitieux, moins investis par la firme, et moins remarqués par la critique, qui semblent être à présent devenus le crédo du studio entre deux opus de Pete Docter. On peut suspecter Disney d’être à l’origine de cette logique de productivité soutenue ; il est aussi possible, plus simplement, que le studio vieillisse. Reste que ces œuvres secondaires, moins saturées d’enjeux, peuvent aussi être l’occasion pour Pixar d’échapper à certaines de ses normes étouffantes. Voyons ce qu’il en est avec leurs trois dernières productions, pas loin d’être passées inaperçues…

 
 
 

Luca

Enrico Casarosa / 2021

Près des rivages d’un village côtier italien vit Luca, petit monstre marin qui a la capacité de prendre forme humaine dès qu’il sort de l’eau. Un été, à l’aide d’un ami intrépide, il brave l’interdiction formelle de ses parents d’approcher le monde terrestre…

Légers spoilers. Luca est bien ce qu’on en a annoncé : un opus moins ambitieux, moins original et moins risqué que les autres films du studio. Le désign Disneyien des personnages tout en rondeurs simplifiées, la figure clichée d’un méchant sans nuances escorté de deux acolytes idiots, l’insert de scènes “rêvées” littérales et paresseuses, un cadre se limitant à la carte postale italienne attendue, une résolution gentillette où tout le monde devient soudainement magiquement acceptant… Tout cela ramène le film sur des terres très normées, dans un giron qui pourrait être celui de Dreamworks ou de Blue Sky. À une différence près : la manière Pixar, elle, n’a pas bougé. Les intuitions de l’animation suggérant la moindre humeur passagère des personnages, la beauté des lumières qui donnent l’impression que chaque texture a été conçue avec amour, les petits moments d’émotion brute (le héros dénonçant son ami) ou les éclairs d’humour géniaux (l’oncle des abysses)…

Et alors a lieu un paradoxe, que j’avais déjà ressenti devant Le Voyage d’Arlo : c’est dans les Pixar mineurs que ces qualités ont le plus de place pour s’exprimer, d’autant plus ici face à ce scénario minimal aux micro-péripéties de vacances scolaires (offrant à l’action du temps, du calme, et de l’air), comme pour se mettre au niveau de l’enfance dont les petits enjeux prennent des proportions gigantesques. Quelque chose reste comme “ouvert” dans ce projet qui n’est pas truffé de trouvailles à en exploser, ni verrouillé par la volonté de bâtir une cathédrale métaphorique où tout doit faire sens (le symbolisme reste ici très disponible : homosexualité ou transidentité à cacher, simple appel de l’adolescence et sortie du monde de l’enfance comme dans La Petite sirène, phobie des étrangers échoués de la mer dans ce petit village de la méditerranée – le film fonctionne avec à peu près tout).

Sans aller préférer ce film aux derniers grands morceaux de Pixar (le nombre de pistes peu explorées ici – le fils abandonné, l’univers sous-marin… – se révèle réellement frustrant), ces petites productions secondaires peuvent avoir quelque chose à défendre, en ce qu’elles laissent respirer les qualités du studio. Et si elles baignent dans des normes, ce ne sont pas forcément ici celles de Pixar : le dernier acte course-poursuite que chaque film de la firme doit se tartiner, par exemple, est ici réduit à portion congrue (et justifié par les enjeux annoncés d’emblée, tout le film tournant autour de cette course), ce qui est assez rafraichissant.

 
 

Alerte rouge

Domee Shi / 2022

Meilin Lee, à ses 13 ans, commence à se transformer en panda roux géant chaque fois qu’elle est débordée par ses émotions… (Red Alert en VO).

Légers spoilers. Avec Alerte rouge, Domi Shee reprend le thème central (la maternité étouffante) de son court-métrage Bao, et essaie, c’est le moins qu’on puisse lui reconnaître, de repousser certaines limites du canon Pixar, en contredisant pas mal de ses caractéristiques : récit localisé et daté (le Canada des années 2000, entre tamagochis et boys band), sortant d’une représentation abstraite pour s’inscrire dans une certaine réalité (voiles et turbans visibles, marchandising intense, serviettes hygiéniques), mise en lumière des minorités (cadre quasi exclusivement féminin, communauté chinoise, personnages secondaires LGBT suggérés), récit abordant explicitement le désir sexuel (la scène des dessins) et les règles périodiques (par une symbolique transparente autant que par des mentions explicites, jusqu’à son titre)…

Cela fait beaucoup à encaisser pour un film Pixar, d’autant plus que la firme choisit cette occasion pour se délester de l’attirail narratif et formel qui fait habituellement sa force et sa réputation. Reposant sur un montage hystérique, sur des effets ou des modes visuelles, passant majoritairement par la parole (les épiphanies Pixariennes à la limpidité lumineuse manquent ici un peu à l’appel), s’appuyant sur des personnages globalement irritants et peu sympathiques, optant pour un design laid et peu recherché (pour la première fois, chez Pixar, le travail de lumière est assez anodin), accumulant les gags pour expédier maladroitement les moments d’émotion, se reposant sur une imagerie exotique conventionnelle (la forêt de bambous) plutôt que d’inventer la sienne… Le film, en somme, semble troquer le modèle Pixar contre celui du tout-venant de l’animation 3D mainstream, comme craignant que ses traditions soient incapables d’encaisser et de digérer tant d’innovations. Alors que c’est justement cette rencontre, ce mariage, qui auraient pu être passionnants, et créer un peu de mystère.

L’ambition de ce changement, incontestable sur le papier, peine alors à se réaliser pleinement dans un film qui n’a plus de Pixar que le nom, et qui laisse en bouche une impression plus plate que le retournement de table que le pitch laissait espérer. Reste, par un scénario malgré tout bien troussé et évitant le surplace, une capacité à rendre toute la mesure de l’importance fondamentale qu’ont, pour les jeunes ados, leurs premières rébellions (et une plutôt juste distance trouvée, entre empathie et satire, face au ridicule du concert commercial qui les permet).

 
 

Buzz l’Éclair

Angus MacLane / 2022

Après s’être échoué avec sa commandante et son équipage sur une planète hostile située à 4,2 millions d’années-lumière de la Terre, Buzz l’Eclair tente de ramener tout ce petit monde sain et sauf à la maison… (Lightyear en VO).

Quelques spoilers. Lightyear n’a ni la sensibilité et la modestie Luca, ni les tentatives de renouvellement drastiques d’Alerte rouge. En cela, il semble ne plus rien y avoir ici pour le différencier d’un film d’animation 3D lambda (ce que souligne d’autant plus sa genèse clairement mercantile), film auquel on aurait simplement mis au service la machine de guerre technique Pixar (qui s’exprime ici par l’image, les chef-op s’en donnant de nouveau à cœur joie). Passée une première partie rafraichissante dans sa manière de confronter son héros aux paradoxes du temps, et par son abandon surprenant d’un personnage de commandante qui s’annonçait central, le reste du film est totalement sur rails, avec des trajets narratifs sur-lisibles (accepter de travailler en groupe, constituer une équipe unie à partir de bras cassés, le tout avec un sidekick programmé pour égrener une blague par minute).

Il y avait pourtant ici un rendez-vous important pour Pixar, quand bien même le studio se retrouve, une fois encore, à adopter les codes d’un univers préalable (un digest des modes récentes de la SF) : l’occasion de pouvoir enfin répondre à la trilogie Star Wars (dont on reconnaît ici quelques traits caractéristiques, comme cette “vitesse lumière” au centre des enjeux), trilogie qui fut l’impulsion cinématographique des têtes pensantes du studio. Au-delà du patronage concret de George Lucas (Pixar est né au sein de Lucasfilm), John Lasseter a en effet déjà témoigné combien le “divertissement total” qu’est le célèbre space-opéra avait servi de canon cinématographique à ses propres films (scénario en péripéties en fuite, richesse et diversité tonale, manière de s’adresser à un public commun…).

Il est d’autant plus surprenant, alors, de voir le studio californien reformuler ici ce modèle adoré de manière assez froide, sans expression affective à son égard, sans horizon émerveillé, essayant déjà de le remixer à une sauce visuelle vaguement adulte comme l’époque les aime tant… Lightyear y mêle même des réflexes militaires pas très ragoûtants, de la démarche colonisatrice initiale non-interrogée à ce mur-laser Trumpien finalement accepté comme une solution valable, tout en adoptant une imagerie et des valeurs à la Top Gun (l’ouverture, où un héros réticent à l’autorité essaye de braver un record de vitesse en vaisseau, est d’ailleurs un doublon troublant de l’ouverture du récent Maverick).

Tout cela donne à l’ensemble un arrière-goût peu agréable. Certes toujours loin d’être honteux, Lightyear en apparaît néanmoins totalement dénué d’enjeux vis-à-vis de l’histoire du studio. Étant le film Pixar le plus récent, la normalisation dont il fait preuve n’est pas non plus très rassurante pour l’avenir de la firme.

 
 
 
 

Et après ?

Les trois prochains films Pixar annoncés peuvent partiellement rassurer, en ce que deux d’entre eux sont des projets originaux : Élémentaire de Peter Sohn (réalisateur-sauveteur du très mitigé Le Voyage d’Arlo, mais surtout réalisateur du magnifique Partly Cloudy), et Elio par Adrian Molina (co-réalisateur du réussi Coco). Le troisième film annoncé, comme le veut désormais la tradition Pixar, est un gros projet de Pete Docter : la suite de Vice-Versa, face à laquelle on est forcément partagés – déception de voir ce projet singulier se décliner en suite, curiosité de voir comment le studio très prude va se confronter aux affres de l’adolescence.
 

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