Sambizanga Sarah Maldoror / 1972

Angola, 1961. Domingos Xavier, un militant révolutionnaire, est arrêté par la police secrète portugaise. Il est emmené à la prison de Sambizanga, à Luanda…

Quelques spoilers.
 

Voici un classique dont je repoussais la vision depuis près de dix ans, réticent à l’idée de le découvrir via les rares copies dégueues qui traînaient sur le web ; grand bien m’en a fait, la World Cinema Fundation s’étant enfin attelée à sa restauration.

Le film que je découvre ici est d’abord pour moi une relative surprise, en ce qu’il diffère totalement des normes narratives et esthétiques qui me semblaient jusqu’ici unir beaucoup des films d’Afrique subsaharienne (du moins ceux de cette époque). Une série de traits formels et narratifs dont j’ai déjà beaucoup parlé ici (littéralité, discontinuité, montage successif à la manière de récits oraux…), et qui n’est peut-être finalement qu’une forme propre aux cinémas d’auteurs d’Afrique francophone1. Ce film d’Afrique lusophone, racontant les prémisses de la lutte contre le colon portugais, et réalisé par une cinéaste ayant auparavant travaillé avec Pontercorvo, parle lui une langue bien plus familière à nos regards : jeu d’acteurs réaliste, montage à la volée ou alterné, phases de vie ou d’improvisation captées… Il révèle cela dit d’autant plus visiblement, par cela, ce qui fait ses singularités propres.

La première d’entre elles est d’être un film de lutte imprégné de calme, de couleurs chaudes et de musiques (toutes superbes) – jusque dans la prison, qui répond un chant collectif au moment le plus violent du récit. Lors de la scène d’arrestation, la meilleure du film, les corps des deux époux séparés se répondent presque musicalement : les gémissements de douleur du prisonnier entouré de policiers brutaux dans le véhicule qui l’embarque, et les murmures réconfortants des veilles du village autour de sa femme éplorée restée dans leur case, forment un curieux concert commun, qui semble d’emblée ancrer le drame politique dans le concret des expériences personnelles.

C’est la deuxième originalité de Sambizanga : celle de prendre ce fait divers par la périphérie (fait divers qui est déjà en soi un contournement, puisque c’est la “petite histoire oubliée” qui mènera à l’évènement historique officiel que le final annonce). Une bonne partie du film se déroule ainsi soit avec des compagnons de lutte cherchant à connaître l’identité de l’homme fait prisonnier, soit avec sa femme cherchant dans quelle prison il est enfermé – les investigations de celles-ci ne sont d’ailleurs dans un premier temps pas directement rattachées au fait politique (tout semble indiquer qu’elle ignorait les engagements de son mari), faisant de sa marche une sorte d’état des lieux visuel des décors Angolais ruraux, puis urbains, et de ses personnages (de tous sexes, de tous âges) qui semblent faire comme un réseau plus ou moins conscient, déjà appelé à faire résistance lente au pouvoir vertical du colon.

Pour le reste, le film est convaincant et visuellement inspiré, mais parfois difficile à appréhender, voire à certains endroits un peu brouillon – quand il n’est pas plus trivialement obscur pour l’étranger que je suis (j’ai du mal à comprendre, par exemple, l’opposition aux airs accusatoires d’un montage alternant un temps ces rebelles qui font la fête et cette famille en deuil – lecture qui semble improbable, Sarah Maldoror ayant été l’épouse d’un des chefs du MPLA).

 
 

Monangambeee

1968

Légers spoilers. Profitons-en pour dire un petit mot de Monangambeee, premier court-métrage de Maldoror, qui ébauche beaucoup de choses du futur Sambizanga : c’est là aussi l’histoire d’un rebelle emprisonné et torturé par le pouvoir blanc, auquel sa femme vient rendre visite, et qui dans la douleur d’après tabassage se retrouve ici encore entouré par les autres prisonniers… La différence de ce court-métrage tient à son style bien plus conceptuel (qui se cristallise notamment dans ce jazz atonal omniprésent, qu’on a parfois un peu de mal à ne pas vivre comme une coquetterie jouant le remplissage, ou comme une insécurité). Cette approche plus abstraite libère une certaine force formelle, en même temps qu’elle réduit partiellement le film aux modes de l’époque (acteurs jouant théorique, phrases déclamées comme des concepts, situations politico-poétiques…), autant de canons auxquels Sambizanga saura s’arracher. On retrouve en tout cas ici une sorte de chant du martyre ou de la souffrance qui, marié à un militantisme politique dont le film ne fait pas mystère (le générique de fin et ses photos de lutte), offre à rebours une grille de lecture éclaircissant encore davantage ce qui meut le projet esthétique de Sambizanga.

 
 

Notes

1 • De ce que je lis sur le film et sa réalisatrice, il semble plus généralement que Maldoror soit la première grande figure d’un cinéma “panafricain” : ayant grandi en France (elle est d’origine guadeloupéenne), elle vient poser un regard global et extérieur sur le continent, ce qui se reflète dans la diversité des pays où elle a tourné (Algérie, Cap Vert, France, Guyane, Guinée-Bissau, Martinique, ou Congo). Sambizanga d’ailleurs, pourtant chevillé à l’histoire de l’Angola, est tourné au Congo avec une actrice principale venant du Cap-Vert.
 

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