Monte là-dessus ! Sam Taylor & Fred C. Newmeyer / 1923

Harold est venu à Los Angeles pour faire fortune, afin de pouvoir prétendre à épouser sa promise. Mais il stagne dans son job de petit vendeur…

Quelques spoilers.
 

Avant de voir ce film, qui est mon tout premier Harold Lloyd, je me demandais pourquoi le fameux “troisième géant du burlesque muet” n’avait plus aujourd’hui la même célébrité que Chaplin ou Keaton. Après la vision, la raison apparaît évidente : contrairement aux deux autres acteurs, Lloyd n’a pas vraiment de “personnage” comique. Rien dans son corps qui soit essentiellement burlesque (il n’a ni la fixité atone de Keaton, ni les tiraillements gestuels de Chaplin1), et autour duquel se modèlerait la mise en scène : plutôt sobre, très neutre de caractère, son personnage se caractérise tout au plus par le fait de porter des lunettes, et d’être régulièrement embarrassé – se trouvant de ce fait conscient de lui-même, contrairement aux deux autres qui évoluent dans leur propre univers lunaire.

Rien qui n’entache, cela dit, le génie comique de l’acteur, le talent de Lloyd résidant essentiellement dans des idées de situations2. C’est même ce qui frappe le plus, devant ce film qui pour le reste ne brille pas spécialement par sa personnalité (on évolue dans cet univers de pauvreté débrouillarde et de grands magasins à l’énergie joyeuse, comme tant d’autres comédies de la période – il n’y a là ni le flirt existentialiste d’un Keaton, ni la vibration tragique d’un Chaplin, ni le déchaînement pulsionnel d’un Fatty). Ce que crée Lloyd, ce sont d’abord des configurations scénographiques bien particulières, qu’on pourrait résumer à la façon dont le héros va constamment parvenir à se sortir, “en temps réel” si l’on peut dire, de situations sociales catastrophiques, grâce à une ingéniosité totalement improvisée (par le personnage dans le récit) mais en fait hautement chorégraphiée (à l’image par le comédien). Au point que l’ensemble ressemble dans ses meilleurs moments à une sorte de danse miraculeuse (voir le passage central, où le personnage réussit l’impossible en gérant l’arrivée imprévue de sa fiancée au magasin).

Dommage que le clou du spectacle, cette montée finale de l’immeuble à la grande force symbolique (image cauchemardesque et littérale de l’ascension sociale à tout prix, nécessaire pour obtenir la main de la jeune fille qui attend tout en haut…) n’ait pas la grâce des multiples entrechats chaotiques nous ayant montré, tout au long du film, le héros se sortir ingénieusement des situations les plus scabreuses. De cette escalade, Lloyd appuie alors surtout le côté lent et laborieux, entièrement et passivement subi, en ne laissant plus à son personnage la capacité d’inventer en direct des solutions à ce qu’une fatalité particulièrement acharnée lui envoie à la figure. En ce sens, paradoxalement, il manque presque un vrai “final” épiphanique à Monte là-dessus !, au-delà du caractère naturellement conclusif auquel peut prétendre toute scène spectaculaire – qui ne sait ici pas forcément bien répondre à ce que le reste du film (et sa science comique) avaient patiemment esquissé.

Safety Last ! en VO.

 
 

Notes

1 • Sur la gestuelle de Chaplin et Keaton, et ce qu’elles sous-tendent, je vous renvoie à cette courte et excellente analyse de Jos Houben.
 
2 • Notons sur ce point que je ne sais pas exactement ce qui vient de Lloyd ou des deux cinéastes “officiels” (dont l’un, Sam Taylor, m’a déjà fait preuve de son talent dans l’excellent Exit Smiling).
 

Réactions sur “Monte là-dessus ! Sam Taylor & Fred C. Newmeyer / 1923

  1. Je viens de voir (enfin, j’ai pas fini, j’ai coupé après 50 minutes), et la raison pour laquelle Lloyd n’a pas la renommée de Chaplin et Keaton me paraît évidente : ce film est d’un conformisme bête et méchant, qui accepte sans sourciller la société dans son état, avec ses castes, ses classes, ses rêves de succès, et les comportements débiles que tout ça induit. Il n’y aucun questionnement, rien, on est dans de la comédie qui n’a rien d’autre à dire sur le monde que ce que le monde a envie qu’on dise de lui. C’est Avengers en 1923.

    Bref, j’ai trouvé ça, malgré un très bon comique de situation, intelligemment pensé, d’un inintérêt total.

  2. Hello !

    C’est clairement plus docile (ne se positionnant et ne se pensant pas “contre” ou “en dehors” du monde existant), après je dirais pas que ça ignore ce que tu cites (“société dans son état, avec ses castes, ses classes, ses rêves de succès, et les comportements débiles que tout ça induit”). Au sens où justement le comique tient aussi d’une vision poussée jusqu’à l’absurde (un “film d’horreur comique”‘) de ce que c’est que d’essayer de traverser les classes sociales (jusqu’à cette vision cauchemardesque de l’immeuble à gravir). On pourrait dire, en étant gentil, que ça filme donc cette société comme étant absurde. Mais bon, tout va bien qui finit bien, donc ça peut juste dire qu’on en chie beaucoup mais que ça vaut le coup et point barre.

    Après, je crois que ça m’a pas choqué au sens où cet univers (les grands magasins survoltés, la débrouille des gens qui veulent pas y passer leur journée, le tout sur un ton optimiste) c’est limite un genre à l’époque, c’est pas propre à ce film. Tu vas me dire, ça te confirme d’autant plus l’idée d’une norme impensée (à la Marvel), mais je pense que cette légèreté (hystérie, pauvreté sociale soulignée, mais joyeux quand même) fait partie du trip.

    Bon, après là je défend un film dont j’ai quasi gardé aucun souvenir, à part la scène de la visite de la copine au magasin. Faudrait que je vois un autre de ces films pour confirmer que ça me parle peu.

  3. Ben j’ai vraiment l’impression que contrairement à Chaplin et Keaton, qui s’insèrent dans le système en tant qu’éléments exogènes (le comique naît de cette rencontre, et évidemment, ça permet ensuite d’aller plus loin), Lloyd, lui, n’est qu’un rouage du système : il ne le grippe pas, il y adhère, il s’y fond. Il ne remet rien en cause, et quand il gaffe, sa terreur, c’est d’être éjecté par le système, car il rêve d’en faire partie. Qu’il soit complètement absurde ne lui traverse même pas la tête. Et la scène de la visite de la copine au magasin, bien que scéniquement très réussie, bien sûr, en est l’illustration parfaite : Lloyd ne dérange rien du tout de fondamental, ce sont juste des guignolades qui ne mènent qu’au maintien d’une situation de départ très conventionnelle.

  4. Ha mais je suis vraiment d’accord sur la différence avec Chaplin et Keaton, mais il reste que j’y vois un peu autre chose qu’une simple expression de la norme. Le personnage dans ses manières naïves de vouloir atteindre le succès à tout prix, et sa panique à l’idée d’en être éjecté comme tu dis, me semble un brin regardé de l’extérieur, donc avec un brin de recul sur son idéal (y compris dans la représentation un peu ironique/bluette de son amour), même si c’est avec tendresse et sans rien remettre profondément en question. Et puis le long final (ha ça arrête les films en cours de route, sauvage !) pousse quand même l’absurde assez loin pour que tu ne puisse pas juste agréer.

    Mais bref, je défends pas le film plus en avant, il m’a vraiment pas assez touché/parlé pour ça.

    Du neuf dans tes découvertes cinéphiles, toi ?

  5. Quelques trucs sympas, oui.
    Ma plus belle de l’année, c’est Guerre et Paix de Bondartchouk, mais il y aussi le fabuleux Route One USA de Robert Kramer qui m’a soufflé (enfin, j’ai vu qu’une partie sur deux pour le moment, donc je sais pas si ça reste du même niveau).
    Et je me fais une rétrospective Miyazaki, dont les deux Châteaux (dans le ciel et de Howl), que j’avais peu aimés à l’époque, ont fait une spectaculaire remontée dans mon estime.

    Ah, et j’ai adoré ça, aussi, sinon :
    https://www.imdb.com/title/tt0065207/

  6. Ha “Guerre et paix” j’avais dit non à la séance ciné et maintenant je m’en mords les doigts parce que je me fais pas confiance pour la vision intégrale non stop…

    Mais oui “Le Château ambulant” c’est pas si mal, c’est pas fin, c’est chaotique et le bordel, y a des trucs chiants (la musique eurk, les facilités du baroque, le goût pour les conneries de mémé, le perso sidekick…), mais y a plein de choses émotionnellement fortes qui passent à travers tout ça. Puis je le trouve super (ou je m’identifie trop ?) ce perso qui est très content d’être vieille parce qu’elle peut enfin avoir une vie de vieille sans avoir à rendre des comptes.

    Noté pour les deux autres ! Je suis noyé de boulot, j’ai pas réussi à voir un film depuis un mois – entre ça, la Rochelle annulée, et ma désertion des cinés, ce sera vraiment une année maigre… (j’ai aussi mes 8To de filmothèque patiemment réunie depuis des années qui m’a lâché, 2020 c’est décidément l’apocalypse pour tout le monde). Mais quelques belles découvertes quand même cet été, notamment les fictions de Varda (je m’attendais pas du tout à adorer), ou l’excellent “Orlando” de Sally Potter (que je connaissais pas du tout).

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