Les Misérables Ladj Ly / 2019

Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier…

Spoilers.
 

Sur Les Misérables, on pourrait poser un diagnostic qui fut celui de bien des films cette décennie : celui d’une incontestable force de frappe (ampleur formelle, ambitions palpables, idées de cinéma partout), mais laissant une impression désagréable de confusion, d’une absence d’approche réfléchie, de cohérence, ou de geste précis. Combien de fois, ces dernières années, le spectateur est-il sorti de salles sans être très au clair sur ce à quoi il venait d’agréer, en aimant un film ? Sans trop comprendre ce qu’on lui avait exactement raconté ? Décennie bouillabaisse… Comparez seulement ça à Do the right thing, autre film de tension urbaine de 30 ans son aîné, si droit dans ses bottes idéologiques et si fermement complexe.

N’est politique que ce qui dérange les lignes. À y regarder de plus près, Les Misérables ne risque pas de déranger grand monde, tant Ladj Ly semble déterminé, au long d’une visite très didactique de la cité sous tous ses aspects, à constamment faire la part des choses : un flic cowboy et un flic gêné par la violence, des adultes qui font leur beurre sur le chaos mais qui assurent aussi la paix sociale… Jusqu’à son plan final, le film n’a d’autre horizon que le constat de la cocotte-minute. En d’autres termes, il ne se mouille pas pour un sou, résolvant son tableau embarrassé des cités en se réfugiant dans les bras d’une vision hautement romantique de la situation, à base d’enfants martyrs (la scène au lion) ou vengeurs (la figure défigurée de Sala, qui dans les dernières scènes devient une sorte de cassandre iconique).

Ces visions, ce final en forme de prophétie lyrique de colère et de feu, ne manquent certes pas de panache, mais sont une manière comme une autre de fuir la complexité de la situation : cette jeunesse commodément résumée à l’enfance, victime de tous les adultes, c’est certes très joli, mais ça la sort très artificiellement de la vie de la cité à laquelle elle participe pleinement… En reposant sur des postulats aussi simplets, l’imagerie flamboyante censée donner un élan politique à la révolte se dégonfle aussi vite après la séance qu’elle n’impressionne sur le moment.

C’est ainsi que le film apparaît dans son ensemble curieusement apolitique, presque tiède sous ses accents révolutionnaires et ses effets de frappe. C’est seulement par poches éparpillées que le spectateur se voit un peu bousculé : dans cette ouverture au son grondeur par exemple, qui oblige à regarder ces jeunes supporters, cette masse potentiellement dangereuse dont l’exultation pourrait tout autant coller à quelque prise de la Bastille, comme les nouvelles figures du peuple ; ou bien dans la jouissance bizarre que provoque le je-m’en-foutisme cynique du commissaire Balibar, et des institutions à travers elle ; ou encore dans la position particulière de l’enfant au drone, ambigu relais de notre regard voyeur sur les lieux… Pour le reste, le succès du film en salles est-il si surprenant ? Du gosse de cité martyr au spectateur bobo indigné, du policier faisant ce qu’il peut d’une situation infecte jusqu’au mal nécessaire des frères musulmans (d’ailleurs curieusement exemptés de la vengeance collective des enfants), tout le monde sortira de la salle sans le moindre gramme de culpabilité au ventre ; tout le monde ira dormir tranquille… N’est politique que ce qui dérange les lignes.

 

Réactions sur “Les Misérables Ladj Ly / 2019

  1. Ton commentaire éclaire bien le film, ce qui séduit en lui et bien davantage ce qu’il n’est pas. Je crois qu’on est toujours très frustré de sortir d’un film qui n’apporte pas de réponse, présente une situation mais jamais n’en donne les tenants et les aboutissants, des films qui donnent dans l’affichage politique mais qui n’offre pas la moitié d’une réflexion le positionnant politiquement et nous permettant de nous positionner à son égard. Le Guédiguian, lui, est identifiable sur le plan politique, mais il reste sur le constat et jamais on ne dépasse le constat, la description, le contexte.

    Bon, ceci étant dit, j’ai quand même été bluffé par la force de frappe dont tu parles et la forme a pris le dessus pour placer le film du côté des petites réussites, exactement ce qu’a été à mes yeux Le chant du loup cette année.

    Et Do the right thing, il faut toujours que je le vois.

  2. Ha, je pensais que les visiteurs pouvaient modifier leurs commentaires, mais je vois pas l’option en effet… J’irai voir s’il y a un plug-in pour ça.

    “Nous permettant de nous positionner à son égard”, effectivement c’est tout à fait ça : le Spike Lee montre deux points de vue lui aussi, fait la part des choses et décrit une cocotte-minute également, mais d’une façon précise qui nous oblige, littéralement (la fin est explicite là-dessus) à nous positionner. On ne peut pas sortir de la salle sans se demander quel parti on prend, le film l’empêche.

    Après je te rejoins, moi aussi j’ai été impressionné (y a beaucoup de talent là-dedans, comme tous j’ai été scotché à mon siège à la fin, mais avec un sale goût en bouche en sortant). Pas vu le Guédiguian (rien ne neuf de ce côté là, je les ai tous ratés depuis Marius et Jeannette…), ni Le Chant du loup que pour le coup j’ai hyper envie de rattraper !

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