Quelques spoilers.
Le Sel de Svanétie, à l’image de Tempête sur l’Asie de Poudovkine, est de ces muets soviétiques qui, sous prétexte de raconter comment l’URSS vint sauver les contrées lointaines du capitalisme et de leurs croyances arriérées, en profitent surtout pour filmer avec fascination ces cultures intactes d’avant la félicité-communiste™. Le film d’ailleurs ne s’en cache pas tout à fait : à travers son portrait fantasmé d’un peuple cruel et sanglant, il célèbre aussi leur vie laborieuse, proche de la nature (on a parfois l’impression d’être chez Dovjenko), et montre déjà des habitants unis s’employer à chasser leurs maîtres à leur façon bizarre – bref, déjà communistes sans le savoir.
Le jeune Kalatozov, dès ce film précoce, laisse exploser son talent formel et son lyrisme, en une série de visions hallucinées qui dominent de leur génie visuel la production propagandiste d’alors. Que cette terre lointaine fasse chanter le cinéaste, le pouvoir Stalinien ne s’y trompa pas : il jugea, à raison, que le film ne mettait pas assez l’accent sur la révolution soviétique (qui vient sur le tard sauver ces sauvages au moyen d’une route), et qu’il idéalisait trop ce peuple archaïque. Kalatozov tomba en disgrâce pour un moment…
Est-ce que cela fait du Sel de Svanétie un film subversif, un trésor caché ? Pas vraiment. Comme plus tard dans sa Lettre inachevée, la puissance visuelle de Kalatozov n’a d’égal que le vide de ce qu’il a à dire, ne faisant ici qu’illustrer le récit conventionnel et maintes fois entendu de l’URSS moderne qui arrive en terres oppressées comme la cavalerie – récit dont il n’avait déjà visiblement rien à faire dans les années 30. Seule la fuite en avant outrancière des visions violentes que le cinéaste accumule de ce peuple (l’enterrement, la naissance, l’avalanche…) confère aux images du dernier tiers un véritable poids iconique, et sauve ce film splendide de l’oubli.
Sol’ Svanetii en VO.