Aftersun Charlotte Wells / 2023

Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, et la menace qui planait au-dessus de ces instants précieux…

Spoilers.
 

J’ai bien du mal à juger d’Aftersun, car si le film m’a semblé à la hauteur de sa réputation, il m’a aussi laissé sur le bas-côté, et ce pour une raison simple : dès les premières minutes, son sujet profond m’a semblé évident, trop évident, comme une révélation devinable et trop lourdement annoncée – or ce sujet “évident”, je l’ai en fait très probablement inventé, puisque je suis semble-t-il le seul à avoir compris le film de Charlotte Wells ainsi.

Ce sujet que j’ai vu au cœur d’Aftersun, c’est celui de l’inceste – qui m’a semblé inscrit (de manière presque clichée, en fait) dans la forme-même d’un film qui suggère dès l’ouverture un lourd trauma sous le mensonge souriant des vidéos familiales. Tout m’a semblé pointer dans cette direction : ouvrir le récit sur le malentendu d’un lit pour deux à l’hôtel (lit laissé à l’enfant, mais dans lequel le père viendra finalement prendre place nu), ce père qui s’excuse « pour hier » et sa fille qui refuse soudainement le contact d’une crème solaire, l’inhabituelle attention de la caméra aux contacts physiques pour un film anglo-saxon, ces visions cauchemardesques de danse dont les sons de respiration lourde évoquent l’acte sexuel, la vision intrusive (et imaginée ?) du père dérangeant le premier baiser de sa fille avec un garçon – et puis cette scène surtout, où le personnage penché sur sa fille la caresse, et où la caméra sort de la chambre, continuant à filmer de derrière la porte alors que la musique se dérègle, comme s’il était en train de s’y passer quelque chose de grave.

Bref, devant tout cela, je me demandais constamment si la réalisatrice était en train de jouer le jeu de pistes (disséminant les indices, construisant les scènes à cette seule intention), ou si elle voulait explorer avec nous une affaire déjà entendue par tous, déplier les milles nuances d’un rapport à la fois affectif et destructeur, et la difficulté pour l’adolescente à démêler ces choses (confusion ici particulièrement bien rendue : quoiqu’on y lise, la relation père-fille est à la fois solaire et douloureuse, tendre et emplie d’un malaise triste). Devant ce qui s’avère au final, et de l’avis de tous, une “simple” histoire de dépression et de suicide, j’ai du mal à rebours à recomposer mon jugement critique. Reste en tout cas la sensation marquante d’un trouble doux, et un talent que je ne peux que constater, même s’il est encore empêtré dans les obligations à fermer toutes les boucles symboliques (cette scène de danse finale explicitant inutilement les scènes de boîtes de nuit), et qu’il joue un peu trop la sécurité festivalière d’une approche “délicate”. Aftersun témoigne, en tout cas, d’une ampleur émotionnelle le distinguant sans problèmes du tout venant du jeune cinéma d’auteur.
 

Réactions sur “Aftersun Charlotte Wells / 2023

  1. Je viens de le terminer. Exactement la même lecture que vous.
    J’ai donc googlé “aftersun incest” et suis arrivée ici. Je vais poursuivre un peu mon chemin sur le net mais les 10 dernières minutes semblent confirmer ce que vous dîtes : nous sommes en minorité. Pourtant ça m’avait semblé si évident dès les premières minutes et tout du long…

  2. Bonjour ! J’avais fait chou blanc aussi dans mes recherches, à part une ou deux critiques l’évoquant seulement comme une piste possible qu’on envisage en début de film parmi d’autres, avant de l’écarter. Mais la cinéaste en interview, de ce que j’ai lu d’elle en tout cas, n’a pas l’air de jouer l’ambiguïté, et en parle clairement comme d’un film sur la mémoire confrontée à la dépression du père, et à sa perte annoncée (qui fut aussi celle du sien, qu’elle a perdu jeune).

    Donc j’imagine qu’il n’y a là rien à déceler de plus, malgré notre intuition commune. Peut-être simplement que l’omniprésence de l’inceste comme thématique sourde des films d’auteur européens en vient à déteindre un peu automatiquement sur tout film intimiste qui explore un malaise dans le cadre de la famille. Et comme les thèmes sont par ailleurs proches (une relation fusionnelle idyllique polluée par un évènement grave, l’éducation compliquée entre une ado qui grandit et son père encore trop jeune et immature…), c’est assez facile à transposer.

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