Élégie de la traversée Alexandre Sokourov / 2001

Un homme, poussé par une force qui le dépasse, embarque seul pour un voyage…

Légers spoilers.
 

Petit film moins connu dans la carrière de Sokourov, mais précédé d’une grande réputation, Élégie de la traversée s’avère effectivement être l’un de ses meilleurs. Rien n’y surprend vraiment, pourtant, tant son cinéma s’y retrouve résumé à la limite de la caricature : litanies marmonnées, teintes verdâtres, images anamorphosées ou peu lisibles, bouillasse de sons épars et de musiques lointaines, détour par l’art… L’utilisation de la vidéo, et la présence de quelques effets spéciaux gauches, tendent d’autant plus à faire ressortir l’artificialité de ces manières déjà connues, comme si le film confirmait qu’elles sont indifféremment tartinées sur tout nouveau projet du cinéaste.

Mais Élégie de la traversée a pour lui un double-argument décisif : sa faible durée (c’est un moyen-métrage), et la diversité que lui impose le vagabondage qui est son sujet, condensant les trouvailles de Sokourov, les compressant d’une manière qui les fait enfin dialoguer entre elles (plutôt que de les laisser s’étendre dans un océan contemplatif de vide un peu complaisant). Tout ici vise à retrouver une sorte de langage du rêve, sautant d’un lieu à l’autre sans avoir trop compris comment, traversant indifféremment les paysages réels et ceux des tableaux comme une même continuité, la caméra se baladant au sein des toiles comme on y entamerait un grand voyage à pied. Tout en ciblant un sentiment très russe de mélancolie tragique (le “voyage” dont on fait ici l’élégie est surtout synonyme d’errance), le cinéaste parvient à ne jamais lâcher le fil de cette narration onirique si particulière, cette manière somnambule de toujours dériver comme “aux côtés” de son sujet, retouchant à ce vague à l’âme des voyageurs fuyant une sorte de vide intérieur, absents d’eux-mêmes comme des lieux qu’ils traversent, jusqu’à progressivement s’éteindre (l’enterrement progressif dans le musée, dans un certain statisme).

La présence visible et massive des bidouillages de post-production ne suffit pas à obstruer ces intuitions frappantes de la mise en scène. Mis à part quelques moments brisant la transe en focalisant soudain trop l’attention du spectateur, comme le sortant du flux de la rêverie (le dialogue au café, l’arrêt sur les noms de peintres), et malgré le côté parfois facile et chiqué de l’arsenal formel déployé pour aider à cette sensation d’onirisme et de torpeur, c’est une vraie réussite.

Elegiya Dorogi (Элегия дороги) en VO.

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