The Souvenir I & II Joanna Hogg / 2019-2021

Au début des années 80, Julie, une jeune étudiante en cinéma, rencontre Anthony, un dandy charismatique et mystérieux…

Spoilers.
 

Malgré tout le talent qu’il laisse entrevoir, The Souvenir se vit comme une double déconvenue.

La première partie, et ce n’est peut-être là qu’un ressenti tout personnel, m’a semblé un sommet de sinistre. Le personnage de jeune réalisatrice a beau prétendre vouloir sortir de sa bulle1, le résultat est tout l’inverse : l’univers décrit est absolument rédhibitoire (jeunes bourgeois traînant leur ennui au salon en écoutant du classique, enchaînant les discussion artistico-intellectuelles en soirée, squattant de riches salons de thé où l’on échange dans le silence…). Comme souvent, le milieu n’est ici pas tant problématique pour lui-même, que par la façon dont le film y ajuste mal son regard, négociant maladroitement avec lui, ne semblant pas en voir le côté frigide. Le premier symptôme de ce décalage est cette relation romantique aux dialogues reptiliens, avec cet amant toxique et manipulatoire dès la première image, avant même son addiction révélée ; face à lui, l’héroïne est d’une docilité pathétique, et son absence de résistance irrite.

Dans ce labyrinthe frisquet et malaisant, baigné d’une lumière grise et terne disant une certaine forme de dévitalisation, on s’accroche à Tilda Swinton (formidable de découvrir, pour une fois, la subtilité du jeu de l’actrice sans ses habituels oripeaux performatifs) ; on s’attache surtout à l’élégance du film, qui est certes elle aussi un symptôme (quand un film est “élégant”, c’est que sa virtuosité se fait plus décorative que fonctionnelle…), mais qui a la qualité de se vivre comme une série de points d’interrogation : élégance étrange des compositions de plan pas toujours indexées sur les humains qui y évoluent (humains qui y semblent presque indésirables) ; élégance aussi de cette structure elliptique et désordonnée (quand commence exactement la relation ? comment ?) qui permet dans une certaine mesure de faire puzzle, de conceptualiser la romance, et de poser un peu le malaise à distance.

La seconde partie m’a elle aussi désarçonné, mais autrement. Elle est moins ennuyeuse et plus plaisante à suivre (parce que les personnages sont devenus familiers sans doute, mais aussi parce que le récit se fait alors plus linéaire, et que la toxicité amoureuse a disparu au profit de personnages enfin dans l’action) ; elle est cependant aussi plus conventionnelle. La renaissance du personnage s’y fait sur des ressorts pas très fins (voir notamment ce segment onirique terriblement grossier, au point qu’on se demande s’il n’y a pas là une volonté de pasticher les formes du cinéma étudiant), et le filmage, qui se détend au même rythme que l’héroïne, se fait plus anodin et perd en singularité. L’ensemble reste malgré tout infusé de quelques idées de cinéma subtiles (un exemple tout bête : ces plans naturalistes de l’appartement aux fenêtres donnant sur rue et qui pourtant, une fois passées les scènes du tournage à l’école, commencent à se regarder comme un possible décor de studio, comme parés d’un doute, faisant vibrer ces simples scènes d’une discrète résonnance meta).

D’abord impressionnant mais déplaisant, puis empathique mais plus banal, le dytique de The Souvenir (qui en soi reste une belle idée, comme un champ-contrechamp) se vit donc comme un projet désynchronisé, échouant à trouver un juste milieu, à cibler la bonne note qui éviterait qu’il émane du film une sorte d’artificialité ; néanmoins, il atteste d’un tel potentiel qu’il donne foncièrement envie de suivre la carrière de la cinéaste.

 
 

Notes

1 • Se pose évidemment la question du caractère conscient et volontaire de ce revirement : Joanna Hogg, dans sa deuxième partie (qui a néanmoins été filmée deux ans plus tard, et ne pouvait donc faire partie de l’appareil dialectique du premier film), montre en effet son jury s’étonner de la voir retourner sa démarche artistique sur elle-même. Son film, qui ne dissimule rien de l’ascendance quasi-aristocratique de sa réalisatrice, et qui intègre vite fait les préoccupations de classe dans ses dialogues, ne s’en cache pas non plus. Il reste qu’il me semble que The Souvenir pèche par manque de lucidité sur la nature du milieu qu’il filme – un effet de bulle poussé au point que j’ai longtemps cru que le film se déroulait de nos jours parmi de jeunes hipsters collectionnant les objets vintage…
 

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