Un peuple et son roi Pierre Schoeller / 2018

En 1789, le peuple français entre en révolution. À l’assemblée ou dans les ateliers se croisent les destins d’hommes, de femmes, et de figures historiques.

 

Un peuple et son roi participe à une cohorte de sorties récentes (High Life, En liberté…) qui tentent une énième fois de réactiver ce vieux rêve français : celui de recréer un cinéma du milieu, qui réconcilierait exigence et grand public, qui tromperait la fatalité du divorce français entre art et industrie, entre culture haute et basse. Suffirait-il, pour cela, de transférer sur de gros budgets toutes les manies du cinéma confidentiel, qui a depuis longtemps désappris à se cogner à un public ? Évidemment que non, et c’est là un premier souci.

Le fait est qu’on ne sait trop quoi faire de ce film de Pierre Schoeller, qu’on aimerait tant aimer – et qui, à chaque image, offre un contrepied ambitieux à tant de conventions irritantes. Que ce soit celles du cinéma populaire, donc (le film a d’inhabituels moyens au vu de ses audaces formelles), mais aussi celles du cinéma d’auteur français (dont l’habituelle prudence tempérée laisse ici place à des idées tous azimuts), ou encore aux représentations communes de la révolution (que le film se fait un plaisir de désamorcer – sur ce point, je vous renvoie à l’excellent texte de Gabriel Bortzmeyer).

Mais ce film historique motivant qui déborde d’essais, de tentatives, ne semble jamais pouvoir prendre, tel une mayonnaise ratée – et très vite, la volonté forcenée d’approcher chaque petit passage de manière oblique, inhabituelle, agace en ce qu’elle se fait au détriment de toute foi en son propre récit. On ne croit à rien. Le numérique catastrophique (sur-dessiné, lisse, sans texture), et ce malgré les talents de Julien Hirsh, fait constamment sentir la présence de la caméra ; les acteurs (la crème de la crème pourtant, jusqu’au moindre petit caméo) sont mal pris en charge par une mise en scène qui les laisse se débattre comme sur une scène de théâtre…

Où donc se loge le problème ? Peut-être le ver est-il à chercher tout au cœur du fruit, là où se concentrent toutes les velléités du film : sur la question du peuple. Celui-ci apparaît comme une masse totalement théorique, réduite à des postures et images d’Épinal de gauche (dont la grossièreté vaut bien celles de droite), peint non pas dans sa complexité mais seulement comme on aimerait qu’il soit, en niant toute individualité aux personnages – quelques historiettes passablement artificielles viendront compenser sans conviction le manque d’empathie criant de la caméra à leur égard. C’est qu’il est trop occupé, ce peuple, à disserter de la révolution pour le cinéaste (le but, louable, de le sortir de son imagerie sanguinaire n’excuse pas tout) : il se fait le simple pantin de joutes théoriques, ou se trouve à l’occasion réquisitionné pour des poussées de lyrisme un peu faux.

Entre la forme exigeante (faite de ruptures, de saillies) qui prétend à un regard aiguisé sur la révolution, et ce lyrisme niais dans la vision de ceux qui l’ont menée, il y a comme un hiatus dont le film ne se relève pas. Et il n’est alors pas étonnant que Schoeller soit plus à l’aise à l’assemblée, où ces déclamations, ces échanges, bénéficient d’un cadre d’emblée ritualisé – et de la conscience d’entendre de vrais discours d’époque, qui opposent enfin aux manières du cinéaste une forme de résistance.
 

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