Kubo et l’armure magique Travis Knight / 2016

Kubo est un jeune garçon borgne vivant à la bordure d’un village du Japon médiéval, veillant sur sa mère qui ne semble consciente que quelques heures par jour. Il gagne sa vie en contant des histoires à l’aide de ses origamis, mais ne doit surtout pas rester dehors une fois la nuit tombée…

 

En quelques années, les studios Laika se sont faits une jolie réputation. On pourrait croire que c’est seulement pour leur maîtrise de l’animation stop-motion, qu’ils sont à présent presque les seuls à utiliser, en tout cas de cette façon (mélange savant avec la 3D, jeu de frontière invisible entre les deux techniques). Mais leur position d’outsider relativement méconnu du grand public, dans le paysage d’une production animée désormais très normée, crée d’autres étrangetés qui font aussi leur identité.

Du studio Laika, je n’avais vu que Coraline, leur tout premier opus – film qu’on associait d’ailleurs bien plus à son réalisateur, Henry Selick (le cinéaste de L’étrange noël de Mr. Jack) qu’au studio alors naissant. Devant Kubo, et bien après le départ de Selick, on se surprend pourtant à en retrouver des traits, des caractéristiques, qui semblent à présent être devenues des marottes. La façon, par exemple, dont les films allégorisent en leur sein (et non sans une certaine méfiance) le travail d’animation image par image : dans Coraline, c’était via l’obsession de personnages-marionnettes, et l’angoisse du vide que cachait leur joyeux feu d’artifice ; ici, c’est via la maîtrise des origamis prenant vie par la simple volonté du conteur (terrain tout offert à la virtuosité des animateurs). Se déploie également, à nouveau, cette idée d’un arrière-monde psychopathe et frigide, insensible aux sentiments, voulant ramener à lui les vivants…

De là découle une des premières particularités de Kubo : sa noirceur brutale, qui se marie assez bizarrement aux conventions conservées du film pour enfant. On a rarement vu tant d’ambition dans un film animé mainstream, tant d’efforts à façonner une mythologie de toutes pièces, à la faire résonner dans chaque millimètre de la direction artistique. On remarque d’autant plus ce travail par la façon boiteuse et singulière dont le récit court après ces légendes qui lui servent de fondement, donnant au spectateur l’impression agréable d’être constamment débordé par l’univers du film, de courir après les clés qui lui permettraient de tout comprendre des péripéties (une particularité narrative dont la voix-off d’ouverture prend d’ailleurs acte immédiatement1).

Mais là est le hiatus : la mise en scène, typique d’un certain cinéma animé de studio, c’est-à-dire aussi virtuose que strictement fonctionnelle (donner les trouvailles en spectacle et fluidifier la narration, point), semble incapable d’épouser l’étrangeté d’un projet qui se coltine par ailleurs toute la panoplie attendue du film d’animation mainstream (sidekicks et bons mots, récit aux thématiques surlignées, convention et platitude des émotions convoquées – voir sur ce point le final inepte). En résulte l’impression d’un film incohérent aux entournures, qui dysfonctionne, notamment dans sa capacité à créer de l’empathie. Ce projet schizophrène, aussi étrange et aventureux qu’engoncé dans les standards, marque au final plus par la bizarrerie de cette hybridité que par sa poésie recherchée – poésie qui, faute d’un cinéaste sachant accueillir le mystère ou créer de l’informulé, échoue à réellement fleurir.

Kubo and the Two Strings en VO.

 
 

Notes

1« Si vous devez cligner des yeux, faites-le maintenant. Soyez attentifs à ce que vous allez voir et entendre, aussi invraisemblable que cela puisse paraître. Si vous êtes dissipés, si vous détournez le regard, si vous perdez le fil de mon récit, ne serait-ce qu’un instant, notre héros périra ». On est tenté de se demander si cette tirade inaugurale est une rustine, un rattrapage catastrophe issu des projections-tests, ou bien la revendication d’un projet narratif (perdre le spectateur, lui laisser peu de fils) qui intéressait le studio. On retrouvera en tout cas cette annonce dans la bouche du petit conteur animant ses origamis, achevant la mise en abyme avec le travail des animateurs.

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