Starship Troopers Paul Verhoeven / 1997

Au XXIVe siècle, la fédération fait régner l’ordre et la vertu, exhortant sans relâche la jeunesse à la guerre contre une armée d’arachnides, qui se dresse contre l’espèce humaine aux confins de la galaxie.

 

Même avec le recul de deux décennies, l’existence de Starship Troopers reste incompréhensible. Sa réception cinéphile, par contre, l’est beaucoup moins.

Pas un an, en effet, sans que ne grandisse le nombre de ses fans américains, tel un club d’initiés bien contents d’être de mèche. Cet amour, qui n’entend le film que dans son contexte (celui d’un système de production qui ne sut pas voir la charge satirique de son grand blockbuster automnal), révèle autour de quoi ce culte s’est construit : ce qu’on admire chez Verhoeven, c’est d’abord d’avoir opéré le casse du siècle. Starship Troopers semble seulement fonctionner en tant « qu’objet-film », cheval de Troie qui ne produit en soi aucun trouble : la satire se vit moins dans l’expérience du film, que dans le fait de le savoir sorti en salles. Et la fin (« It’s afraid ! ») n’est terrifiante que parce qu’un public (qui sait) imagine ou regarde exulter un autre public (qui ne sait pas).

On peut alors trouver que le projet, en ce qu’il n’a d’autre but que de continuellement tenir une même note, celle de l’ironie, se révèle assez plat dans son art. Le sourire collé au visage de Denise Richards est juste un gag ; secoué d’infimes variations, il devient une aventure. Mais Verhoeven préfère surligner la satire (les flash-infos, le système de votes) qu’en flouter le spectre : pas grand-chose n’est fait pour que l’épique, l’idéalisme, ou l’élan de ces soldats puissent être aussi les nôtres. L’inconfort est rare quand toute poussée de trompette est vécue comme une blague… Pour être réellement subversif, il faudrait ménager un pont au trouble, glissement que le film n’envisage qu’une fois : quand il confronte ses recrues au massacre nocturne d’une planète plus préparée que prévue. Le spectateur aveugle (qui n’attendait pas cette rupture macabre), le spectateur clairvoyant (quittant soudain la distance sécurisante du registre ironique), ou les personnages eux-mêmes (enfin affectés par le doute) : tous ces regards, pour quelques minutes, vivent une ambiguë cohabitation – qui restera bien rare.

Il y a plus, cependant. Malgré l’ironie, quelque chose fascine dans la forme-même du film : un malaise à voir un tel degré de production (la panacée technique des années 90) se mettre au service d’une œuvre si ouvertement vulgaire. Verhoeven est le cinéaste de la chair sans âme, et quand bien même le gigantisme de son univers SF, l’œil n’y voit que de la matière : dans l’imagerie fasciste, la vulgarité de son cinéma trouve un interlocuteur à sa taille. Dans la scène de douche mixte, où les corps parfaits se côtoient dans la plus crue nudité, ce n’est ainsi pas seulement l’iconographie aryenne qui travaille, mais aussi l’inconscient du blockbuster, soudain dépouillé de son romantisme – plus de glamour, plus de cache-sexe. Ces Ken et Barbie à la ligne claire, corps théoriques et sécurisés (ils pourraient sortir d’une pub), peuvent se voir déchirés d’une plaie sanguinolente, d’où s’écoulent leurs viscères, rien n’y fait : eux continueront à évoluer comme des personnages de blockbuster, comme si rien n’avait invalidé les règles implicites de leur réalité – les corps agissent comme si de rien n’était.

La perversité du film, son malaise, réside dans le fait de ne rien acter de ce léger décalage, de laisser sourdre la dissonance : sa force est de rester un blockbuster presque fonctionnel, au fond si peu méconnaissable. Jeunes visages juste un peu trop plastiques, hurlements de victoire au lyrisme un peu faux, violence qui dépasse en saillies trop gores, répulsion viscérale de l’ennemi-cancrelat… Déshabillant le grand spectacle Hollywoodien de son idéalisme, le ramenant à la réalité de sa matière et de ses réflexes, Verhoeven suggère sa naturelle accointance avec le spectacle fasciste. Et vient alors titiller le cinéphile qui, tout conscient de la satire, n’avait peut-être pas senti venir ce coup-là.

Réactions sur “Starship Troopers Paul Verhoeven / 1997

  1. A lire nombre de vos critiques j’ai l’impression qu’un mystérieux surmoi cinéphilique vous pousse à faire des procès d’intention. Votre point de vue sur Starship Troopers, par exemple. Vous percevez très bien l’intention de Verhoeven mais vous n’en voulez tellement pas que les divers éléments qui constituent le film vous conduisent à découvrir les accointances de Starship Troopers avec le cinéma fasciste ! J’ai lu à l’époque quelques critiques qui allaient dans ce sens.
    Oui, ici « la chair est sans âme » ; oui, « les corps agissent comme si de rien n’était » ; oui, la « vulgarité » est indéniable (comme elle l’est dans Showgirls) ; oui, les personnages sont ceux des blockbusters ; oui, « le sourire de Denise Richards est un gag », tout le personnage de Denise Richards étant lui-même un gag, une caricature ; oui, « la satire est surlignée » et pas seulement dans les exemples que vous donnez, etc.
    Le film, avec les moyens d’un blockbuster se paie le luxe d’une charge antimilitariste qui aurait perdu de son efficacité régalante sans ces moyens. On pourrait ne pas se régaler mais pourquoi ne le devrait-on pas ? Pourquoi ne devrait-on pas accepter l’intention de Verhoeven de faire un film vulgaire — selon la recette des blockbusters —, précisément pour massacrer à la fois Hollywood et le militarisme ?
    Vous parlez de « léger décalage ». Léger ?! J’en reste sans voix.

  2. J’avoue ne pas vraiment comprendre votre message : surmoi cinéphile à quel sujet ? Refuser de voir que Verhoeven massacre le blockbuster ?

    Je ne refuse pas de le voir, ce jeu de massacre, je dis juste qu’il me fait bailler. Et que le film n’a de prix que parce qu’il fonctionne malgré tout, en tant que blockbuster premier degré, ce qui crée quelques dissonances dans l’expérience du spectateur (sa jouissance est “salie”, a un goût douteux, et est pourtant opérationnelle). Elle est là, la jouissance qui m’intéresse, parce qu’elle implique et remue celui qui voit le film (c’est parce que le personnage de Denise Richards n’est pas QUE un gag que le film a de la valeur…).

    À côté de ça, la jouissance du jeu de massacre n’a qu’un intérêt limité, pour le dire poliment…

  3. J’avoue moi-même n’avoir pas très bien compris votre article ! J’ai réagi parce que j’aime énormément Starship Troopers et Showgirls, c’est-à-dire le bombardement de l’Hollywood d’aujourd’hui par Verhoeven. Ces films ont, paraît-il (Wikipedia), été des échecs aux Etats-Unis et j’aime à imaginer (ou fantasmer ?) que les Etats-Uniens ne s’y sont pas trompés…
    D’accord avec vous : “la jouissance du jeu de massacre n’a [devrait n’avoir] qu’un intérêt limité”.

Laissez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

Vous pouvez utiliser les balises et attributs HTML suivants : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>