Scream Wes Craven / 1996

La petite ville tranquille de Woodsboro voit deux de ses étudiants se faire sauvagement assassiner. Le tueur masqué, qui s’inspire des films d’horreur des années 70 et 80, s’intéresse vite à Sidney Prescott, jeune lycéenne dont la mère a été tuée un an auparavant…

Spoilers.
 

Étrange de découvrir si tard un film à ce point ancré dans la culture populaire – dont je connaissais déjà presque tout, que l’on m’avait raconté de long en large, et dont j’ai vu des dizaines d’extraits. Étrange aussi de comparer mon expérience du film avec le souvenir de l’effet profond qu’il a eu sur le public au moment de sa sortie : un film horrifique, quasi-initiatique pour les jeunes spectateurs, et qui semblait alors parler à leurs angoisses les plus profondes.

Les jeunes ados de ma génération ont d’abord vu en Scream un pur slasher (du même type que ceux qui pullulèrent dans son sillage les années suivantes), alors que le film de Wes Craven apparaît avant tout comme un objet méta, mi-parodique mi-poétique1, vis-à-vis d’un genre usé à qui il pensait sans doute tirer une dernière révérence avant de fermer boutique. La clé de ce malentendu, et ce qui fait que le film a pu être vécu de manière si viscérale, réside peut-être dans ce qui fait la particularité de Wes Craven vis-à-vis du genre, à savoir un souci sincère pour son héroïne : Neve Campbell est ici un personnage traumatisé et ému, mais aussi fort et combatif, loin de la figure martyre qu’on prendrait en pitié (ce qui ferait d’elle, par là-même, une proie toute indiquée aux pulsions sadiques du spectateur). On partage ici l’intériorité d’une adolescente, pas d’une potentielle victime. Ce recalibrage crée même une certaine violence, par la façon dont les codes du film d’horreur, intacts dans leur sauvagerie, semblent par l’intermédiaire du whodunit plus profondément s’inscrire dans le quotidien (les échanges, les discussions) de l’univers lycéen qui a si souvent été leur décor, mais qui semble ici presque s’amuser d’être de la chair à couteau – avec au centre ce personnage principal, véritable humaine plongée au milieu des archétypes du genre, étant seule à se rendre compte que tout cela n’a rien de drôle. D’une façon détournée, le principe paranoïaque du slasher se rejoue ici à plein : ici aussi une héroïne est seule à comprendre, au milieu de la foule inconsciente, la réalité du danger qui rôde et que les oripeaux exacerbés du genre voudraient faire passer pour un bon kiff (un film d’horreur, soit un bon moment à passer).

L’autre chose qui étonne aujourd’hui, c’est la violence sexuelle de l’ensemble. Si Scream joue avec les codes du genre, il dialogue surtout avec leur puritanisme – de la mère suspectée d’être une “traînée” à l’attitude oppressante et inappropriée d’un petit copain insistant (dont même le visage, les expressions, ont une froideur agressive qui rend tout geste de tendresse phobique), jusqu’à la révélation finale qui confond défloration et tentative de meurtre, agresseur et amant… Il y a là tant de fils à démêler qu’on pourrait se demander ce qu’en pense réellement le film (lui qui a bien conscience de toutes ces implications, comme le soulignent les multiples dialogues méta sur la survie des vierges). Il reste que la manière ici dont chaque victime féminine attaquée va se défendre, frappant et faisant concrètement souffrir le corps de l’assaillant, voire le ridiculisant à l’occasion, donne au massacre un goût différent. Si Sidney s’affirme au final, c’est d’abord comme femme sexuée ayant droit d’exister au-delà de son statut de jeune fille pure (ayant droit de sortir de cette dichotomie infernale vierge/traînée), et triomphant presque moins du tueur qu’elle ne triomphe du genre, survivant à ses codes puritains et à leur arsenal moral (« not in my movie »).

La plus discrète réussite de Scream, cependant, au milieu d’une décennie très portée sur l’ironie et la mise à distance, est de ne pas avoir la froideur d’un objet cinéphile autiste. Le tout est baigné d’une approche ludique mais tendre, et certains personnages (le jeune nerd cinéphile, la journaliste moins pourrie qu’elle n’en a l’air) s’avèrent surprenamment attachants. Le film reste pétri des modes de son temps (baignant par ailleurs dans une imagerie de soap lycéen comme la TV en comptait alors beaucoup), et tout cela manque un poil d’ampleur pour réellement emporter l’émotion au final. Mais il est agréable, pour une fois, de voir un film culte être autre chose qu’une baudruche.

 
 

Notes

1 • J’ai d’ailleurs été assez surpris de ne pas avoir peur devant ce film, moi qui me liquéfie devant le moindre petit film d’horreur, aussi pourri soit-il. Un contraste d’autant plus saisissant avec le frisson de terreur que le film inspirait autour de moi à l’époque… Est-ce le film qui a vieilli, et qui semble à présent fade ou dépassé sur ce plan-là ? Est-ce moi qui ai simplement grandi ? Est-ce que m’être fait spoilé dans tous les sens m’a empêché de m’inquiéter pour les personnages ? Difficile à dire.
 

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