Les Révoltés de l’an 2000 Narciso Ibáñez Serrador / 1976

Un couple de touristes arrive un matin sur la petite île tranquille d’Almanzora. Mais les lieux sont vides : s’ils croisent quelques enfants, tous les adultes semblent avoir disparu…

Quelques spoilers.
 

Le film débute de manière assez affligeante. Déjà parce que l’usage lourdingue d’images d’archives horribles (Shoah, famines…) y est pour le moins dilettante : au motif de donner un “propos” au pitch fantastique du film (prétention dont on se serait franchement bien passé), divers cadavres réels sont utilisés comme de pures images de genre, en vue d’en tirer dégoût et sentiment d’horreur. Une exploitation des tragédies de l’histoire pour donner à son film des airs savants – on nage en pleine élégance.

Ensuite parce que ces images d’archive explicitent, surlignent, ce qui fut l’un des rôles secrets du cinéma de genre d’après-guerre : celui de digérer, sous une forme cathartique et consommable, les horreurs invisibilisées du siècle. En faisant explicitement le lien entre la réalité d’une part, et son propre carnaval d’horreur de l’autre, le film énonce bien haut le secret de polichinelle du cinéma bis ou d’exploitation, et lui fait par là-même perdre son innocence, et une part de sa puissance.

On peut cependant juger que ce grand ratage d’ouverture n’est qu’un détail, tant le film qui suit est impeccable. L’horreur y est économe, réfléchie, la jouissance du massacre de bambins (celui qu’ils commettent eux-mêmes, puis celui qu’ils vont subir) est tout à fait dosée et interrogée par le film, qui nous laisse rarement seul face au plaisir trouble de ces mises à mort. La meilleure idée de Serrador est de continuer, pendant un long moment, à traiter ces enfants comme tels : à la fois emplis de pulsions sadiques propres à leur âge, mais fuyant par exemple encore gênés, en rigolant, devant l’adulte qui passe (formidable scène à l’église), comme des prédateurs amoraux, inconscients de leur propre horreur – en un mot, innocents. Il traîne autour de ce tableau des airs d’utopie acide, qui regarde l’enfant de manière un peu terrifiée et dans toute sa crudité, non comme un petit machin mignon et pittoresque, mais presque comme un semi-Dieu.

Le film se dirige ensuite vers une imagerie monstrueuse plus conventionnelle (dont la nature infectieuse, et les comportements froids de groupe, évoquent tant la figure du zombie que Le Village des damnés). Il y gagne en efficacité horrifique ce qu’il y perd en trouble, l’enfant ne devenant alors qu’un assaillant comme un autre, seulement affublé du masque souriant de son âge, mais déshumanisé par sa frigidité et son altérité (il devient, en quelque sorte, un non-humain), et se fait donc bien moins troublant.

Ça n’empêche pas le film de continuer à être brillant (le climax dans la chambre, formidable idée), ne souffrant à la limite que d’une fin un peu trivialement menée. On tient incontestablement là, dans ce film patient et intelligent, et malgré ses indéniables défauts, un grand film d’horreur de la période.

¿Quién puede matar a un niño ? en VO.

Réactions sur “Les Révoltés de l’an 2000 Narciso Ibáñez Serrador / 1976

  1. Je délaisse ce blog pendant quelques semaines parce que je me dis qu’à tout casser, il y aura un nouvel article, et là, paf, le gars se déchaîne.
    Tu t’es mis aux amphètes ?

    (mais je me plains pas, ça me fait plein de trucs à lire et à découvrir)

  2. Haha, salut Castorp !
    Et ben en fait c’est toute une histoire – assieds-toi, je vais jouer à Père Castor.

    Ça fait en fait longtemps que j’aime pas ma relation à ce blog – je mets mille ans à écrire (enfin disons à relire/corriger) chaque critique, j’aime rarement le résultat qui a une écriture ampoulée et pas naturelle… À part les gros articles généraux où ça marchait bizarrement mieux (à l’écriture comme au résultat), ça me faisait bien chier. Et du coup les brouillons s’accumulaient, et là je me retrouvais avec 50 brouillons pour les “notes sur les films vus”, et ça devenait débile.

    Donc j’ai décidé dorénavant de pas me faire chier à savoir “est-ce assez intéressant/long pour faire une critique ?”, de prendre toutes mes notes telles quelles, et de les publier seules en textes courts (qui en fait s’allongent assez vite). Comme y en a plein, c’est moins grave si dans le tas y a des textes moins bons. Et du coup le côté “vitrine” du blog me tétanise moins, et je suis plus détendu de la plume. Happy End.

    Elle est pas belle cette visite guidée dans mes névroses ?

    Et toi, comment va depuis tout ce temps ? Encore du temps pour un peu de ciné ?

  3. Mais continue, continue. J’aime ton écriture ampoulée et pas naturelle.

    Pas trop le temps pour le ciné, non. L’année prochaine, j’espère. J’ai envie de m’immerger dans Bollywood.

  4. Bollywood je manque de courage… Je sais pas comment faire le tri, entre les critiques qui se reposent sur les films qui font européens (genre “The Lunchbox”, que j’ai pas vu cela dit) et les vraies grosses productions où c’est juste les fans non cinéphiles qui ont fait un tri, parfois sur des critères de merde (tro bi1 cét aktriiss !). Et les copies sont invariablement dégueulasses, on dirait que Dieu a pris les pires éditeurs DVD au monde et les a tous mis en Inde…

    Mais faudrait s’y remettre, oui (si tu veux y aller, y a “einthusan”, un site de streaming cinéma indien ultra-complet, toutes langues et toutes époques confondues).

    Je voulais procrastiner cet été aussi en essayant Nollywood, mais alors là question “à l’aveugle” c’est encore pire :-D

  5. The Lunchbox, c’est pas mal du tout, tu peux tenter.

    Sinon, ben j’y vais un peu au pif, mais je tape dans les gros succès populaires, actuellement. J’ai vu Queen, Taare Zameen Par, ou encore Dilwale Dulhania Le Jayenge (très belle BO).
    Et il y a des trucs à prendre dans tous, malgré le côté blockbuster bien prégnant. C’est pour ça que j’ai envie de creuser.

    Nollywood, ouhla. Dans une autre vie ?

  6. Je note je note. Et ouais, c’est dur de trouver un film entièrement réussi (j’ai lu ton texte sur Ratnam, bah c’est un peu le problème que j’avais avec les trois films vus de lui – des trucs très bien mêlés à des choses embarrassantes…).

    Pour Nollywood, je voulais m’y mettre en mode warrior, prendre 20 films et s’enfermer une semaine, écrire dessus ! On verra.

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