Remorques Jean Grémillon / 1941

Le capitaine du remorqueur Le Cyclone, André Laurent, se voit contraint de quitter précipitamment la noce d’un de ses marins pour aller au secours d’un navire, laissant sa femme et la jeune mariée derrière lui…

Quelques spoilers.

Ce film, par certains points, rappelle très fort Lumière d’été du même Grémillon, qui m’avait laissé le souvenir d’un objet froid et plein de science, sans imprimer grand chose en moi sur le long terme, sinon quelques images. Ce sont justement ces images, et leur ambiance, qui font le pont entre ces deux films que le cinéaste réalisa à la suite : on trouve dans Remorques la même plongée aux enfers, les mêmes décors cauchemardesques que dans Lumière d’été – les nuées d’écume et la mer en furie ont simplement pris le relais des brumes noires de l’univers minier.

Cette fois, cependant, cet enfer visuel parvient à faire écho à ce qui remue le film, à répondre à la violence qui y sourde. Dès le début, alors que les hommes lancés dans la tempête se tassent en cabine, c’est à terre et du côté des femmes restées à l’appartement que la véritable catastrophe semble se jouer – ce sauvetage déjà impossible du couple, son naufrage sous les apparences complices et les sourires heureux. Héritier du réalisme poétique et de son pessimisme, mais également voisin des débuts du film noir (Michèle Morgan, femme fatale géniale, ressemble toute entière à une malédiction lucide, à un boulet de douleur), Remorques baigne dans un fatalisme terminal, macabre, qui déroule inlassablement la pelote logique de ce simple petit doute émis en début de film par une épouse heureuse – une épouse frappée de crises, comme si son corps somatisait ou alertait ce qui se trame sous le quotidien apaisé, comme autant de symptômes du mensonge (cette tristesse, cette douleur) qui meut le mariage parfait.

Englué dans un monde noir et nocturne que n’aurait pas renié DeMille, Remorques déplie méthodiquement toutes les dimensions de l’enfer du couple (l’envie de fuite et de solitude, les non-dits empoisonnés, l’asymétrie amoureuse) sans un instant flirter avec le drame mondain, mais toujours au contraire habillé du grand manteau de la tragédie, lesté de sa douleur de Cassandre, regardant tranquillement son monde s’écrouler en quelques nuits. Cela ne va pas sans froideur (Grémillon reste un cinéaste un peu trop savant, aux récits un peu trop logiques), ni sans misogynie latente (portrait de l’homme en sa glorieuse solitude, ébahissement des femmes et de la mise en scène devant l’assurance du mâle Gabin). On pourra également, de façon plus triviale, regretter les maquettes trop visibles, dont la maldresse gâche la puissance des scènes de mer. Mais ces quelques réserves mises de côté, et jusqu’au saisissant final sépulcral, Remorques est un film en tout point remarquable.

 

Réactions sur “Remorques Jean Grémillon / 1941

  1. Un des plus beaux films du monde.
    Qu’on puisse le trouver “froid” me stupéfie. Quid du sens musical de Grémillon, et particulièrement de la fin? Et comment un artiste pourrait-il être “trop savant”?
    Gabin, comme toujours chez Grémillon, est dénué de ses oripeaux iconiques, il est ébranlé par la douleur et l’amour.

  2. Salut Christophe !
    Froid au sens logicien, j’ai parfois l’impression de voir une partie d’échecs (quoique c’est sans commune mesure avec ce que ça donnait dans “Lumière d’été”, où pour le coup c’était accompagné d’un cynisme, ou tout du moins d’un manque d’empathie, qui nuisait vraiment au film).

    Et oui, Gabin est carrément meilleur quand il est cadré comme ici.

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