Légers spoilers.
Construit autour d’une excellente idée et d’une excellente actrice, Reality n’aurait presque rien d’autre à faire, pour captiver, que de dérouler son dispositif – rigoureusement, sobrement, en laissant simplement l’oppression opérer.
On pense au Procès de Jeanne d’Arc de Bresson (avec qui ce film partage son interrogatoire, son minimalisme et sa courte durée), qui démontrait déjà combien l’adaptation fidèle de transcriptions authentiques, cette caution du réel jusque dans ses improbables bizarreries (à commencer ici par le prénom de l’héroïne), rend toute fiction fascinante. En cela, la première moitié du film, faite d’attente et de small talk gêné, fonctionne admirablement bien, déployant une atmosphère de stress et de paranoïa à partir d’échanges terriblement banals. Chaque amabilité ou politesse des policiers, chaque tentative conciliante, se lit comme une menace sourde, donnant des vibrations de film d’horreur (un home invasion, littéralement) à un simple décor de banlieue américaine.
Le film, cependant, n’a pas assez confiance en son matériau, et il n’est pas Bresson : s’aidant de nappes de musiques effrayées, de glitchs coquets ou de déformations d’optique, il cumule les effets de surface comme on alignerait les munitions au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans le vif de l’interrogatoire. Les allers-retours avec les documents officiels (et notamment avec les photos réelles de l’affaire), au lieu d’attester que tout est vrai, produisent l’exact effet inverse : nous rappeler sans cesse que la reconstitution est fausse. Le film y gagne certes à souligner le grand écart entre ces documents froids, ces objets de surface (vitrine instagram, photos de police) et la subjectivité terrifiée de son héroïne, mais il tempère d’un même geste la force de son concept.
Enfin, la manière qu’a le film de finir sur une (juste) colère, en désignant les conséquences réelles de l’affaire, donne l’impression que là était sa seule finalité, qu’il n’était qu’un outil au service de la médiatisation de cette histoire – alors que l’interrogatoire lui-même, dans sa forme-même, est un élément bien plus politiquement perturbant, bien plus propre à interroger les formes que prend une démocratie de surveillance, que sa plate dénonciation.
Dommage, donc, de voir un film à ce point travailler contre lui-même, par manque de confiance en ses qualités et en ses forces (et peut-être, aussi, par une culture formelle plus télévisuelle que cinématographique). Rien, cependant, qui empêche Reality d’être l’un des films les plus stimulants et intéressants de 2023.