La Sirène Sepideh Farsi / 2023

1980, dans le sud de l’Iran. Les habitants d’Abadan résistent au siège des Irakiens. Omid, 14 ans, décide de rester sur place chez son grand-père, en attendant le retour de son grand frère du front…

Spoilers.
 

En ouvrant son film sur le départ d’une mère (qui laisse à contrecœur son fils adolescent derrière elle, celui-ci refusant de partir alors que le siège d’Abadan commence), la réalisatrice fait deux choses.

D’une, vider la ville de ses femmes : les deux dernières que le film nous montrera seront retranchées dans une maison fermée, comme des légendes sacrées dépositaires d’un temps ancien (un temps où, entre autres, elles n’avaient pas à porter le voile). L’univers dans lequel évolue le garçon sera donc purement masculin, fait de guerre, de terre rouge, de sang, de motos et de combats de coqs, de promesses de martyr ou de trafics – un univers divers mais étonnamment sec, à l’image de l’amas de béton éventré que devient peu à peu la ville. Même le style graphique en aplats, étouffant et tout d’un bloc, privé de nuances et de certaines couleurs (tout est sur la même note), est au diapason de ce manque.

La deuxième chose que produit ce prologue, en laissant partir la mère, c’est de vider les lieux de son seul adulte responsable : dans Abadan abandonnée, tout le monde semble adolescent. Les gens évoluent anarchiquement, dans une sorte de chaos social heureux, bizarre, où plus rien ne semble tenu, sinon vaguement les lignes de défense de l’armée – et encore, plus pour longtemps.

Ce double-tableau fait la force de ce film animé qui, sans cela, aurait bien du mal à s’arracher aux canons sages qui sont désormais ceux du film d’animation d’auteur européen : charte graphique savante, dialogues articulés et mesurés, goût pour la gentille poésie symbolique, respect documenté et dépassionné pour les cultures décrites… Devant ce style en mélange 2D-3D qu’on reconnaît par cœur (on est pas loin à ce stade de repérer les calques de compositing à l’écran…), on a l’impression d’être arrivés à un point où plus rien ne nous surprendra (sinon quelques coquetteries à base d’éclats de sang répétés, dont on aurait pour le coup pu se passer).

La seconde moitié du film n’arrive plus à tenir cette pression académique. Si le récit se crée alors un bel horizon, une jolie parabole (réunir tous les personnages “non conformes” rencontrés au long de la route chaotique du récit, recomposer par leur intermédiaire les restes d’un temps ancien qui subsistait caché, par traces, dans la ville…), le film quitte alors le réalisme brutal qui donnait du poids à sa poésie pour une posture fabulesque plus facile. L’image d’un bateau, avec une femme libérée pour proue tenant en respect la guerre et ses soldats, partant sur la mer comme l’arche de Noé de cette population bigarrée, est certes une jolie image. Mais c’est une image : elle a perdu sa crédibilité, et donc son poids, résolvant une situation concrète et compliquée par une réponse abstraire et poétique. À moins d’imaginer que tous ces gens sont partis à la mort dans la chute de leur ville, et que leur voyage n’est ici que symbolique, le film rate là une occasion de regarder son sujet en face. Et achève de se normaliser, à petit feu, comme répondant trop sagement aux missions qu’on attend de lui.

The Siren en VO.

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