Paris qui dort René Clair / 1924

Albert, le gardien de nuit de la Tour Eiffel, s’aperçoit à son réveil que Paris est immobile : tous les habitants sont endormis ou paralysés dans l’attitude qu’ils avaient à 3h15 du matin…

Quelques spoilers.
 

Paris qui dort semble enfin trouver ce compromis tant recherché, dans les années 20, entre l’avant-garde muette et le cinéma populaire – une sorte d’équilibre idéal entre les expérimentations dadaïstes du René Clair d’Entracte, et la complaisance populaire de ses premiers films parlants.

Ce trait d’union, c’est celui du cinéma de science-fiction – sillon si peu exploré en France, et qui semble sur nos terres (et ici encore) ne pouvoir se formuler que sous le registre de la fantaisie ou de la fable. Mais l’équilibre ici trouvé tient aussi à une certaine abstraction : dès les premières images, dans cette grande chambre en fer où trône un simple lit, il se dessine un espace beckettien ; et le décor enchevêtré de la Tour Eiffel, par lequel on entre dans le récit avant de poser le pied à terre, ouvre le film sur un ton conceptuel qui ne le quittera pas.

S’il est foncièrement ludique, Paris qui dort semble en cela presque moins intéressé par les possibilités d’une capitale immobile (même si c’est l’occasion de quelques de jolis jeux de poses chorégraphiques), que par ce décor de Robinson Crusoé qu’est le dernier étage de la Tour Eiffel, où se réfugient vite les quelques survivants – et qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer, dans la posture qu’il permet face au fantastique, le centre commercial du Zombie de Romero. Un petit îlot qui suggère (comme le rappellera le final) que la ville est devenue trop chaotique, trop électrique, pour être vécue autrement qu’à distance, au calme et en petit nombre, de loin et en surplomb.

Ces passages sur la Tour Eiffel évoquent un grand terrain de jeu (la structure qu’on adapte à la vie quotidienne, à laquelle on grimpe comme les gamins aux arbres, la liberté totale) autant qu’un certain vide existentiel. Quelques intertitres parlent de la lassitude de l’argent et du luxe à présent sans limite, mais c’est le décor qui plus largement travaille à ce sentiment de néant : ce vide immense et offert à deux pas duquel on badine comme si de rien n’était, avec nihilisme, sans sembler se soucier de pouvoir tomber à tout moment, offre un face-à-face bizarre avec l’immensité.

Cette angoisse latente sera laissée sans suite. Le film convainc moins en effet dans son dernier tiers, caractérisé par une série d’allers-retours scénaristiques usés de conventions (l’amourette sortie de nulle part), ainsi que par une certaine maladresse dans ses effets de vitesse (le montage, de manière générale, n’est pas des plus réussis). Reste un film authentiquement charmant (quand les avant-gardes sont d’habitude plus sinistrement “cocasses”), un charme qui bénéficie grandement du plaisir qu’ont ces personnages disparates à cohabiter ensemble ainsi et loin de tous (l’image du groupe réuni à l’asile et partageant un banc, comme il partageait un lit plus tôt dans le récit, nous dit quelque chose des excuses à se trouver pour être ensemble, voire du plaisir à s’être inventé un cataclysme pour rester tranquillement en marge de la société). Cette camaraderie lunaire et la simplicité du film (y compris dans la manière de répondre aux désirs enfantins du spectateur : vider la ville !) permettent aux expérimentations de se faire moins ostensibles, de respirer – bref, d’avoir un impact.

Film parfois sous-titré Le rayon diabolique.

Réactions sur “Paris qui dort René Clair / 1924

  1. J’ai vu quelques films des années 20 ces derniers temps. Celui-ci je ne le connaissais pas. Je vais tenter de le trouver. Même inachevés ou bancals, il y a je crois toujours à puiser chez ces réalisateurs (René Clair, je pense aussi à L’Herbier), en tout cas durant cette période.

  2. Hello Benjamin !

    J’étais aussi très curieux de découvrir son existence seulement maintenant, tant il est facile à vendre et à rendre “hype” (comédie SF muette, tout de même !).

    Je sais pas si c’est bancal, en tout cas j’ai toujours le même cheminement avec Clair : j’ai d’abord peur de ce que je vais découvrir, puis je suis en fait surpris de voir combien c’est réussi (ce que reflète ici mon article), et à peine quelques jours après je me rends compte que j’ai pas un si fol amour pour le film, que j’en ai pas gardé grand chose, ou que je l’ai un peu idéalisé… Enfin tu verras ce que ça donne pour toi !

    L’Herbier oui faudrait que je m’y remette, j’ai vu qu’un film. Perso dans la période c’est surtout le ciné US que j’ai envie d’explorer, j’ai l’impression que derrière les 5-6 très grands noms des années 20, y a une multitude de choses à découvrir.

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