Panique Julien Duvivier / 1946

Monsieur Hire est un homme que ses voisins jugent bizarre, voire inquiétant. Lorsqu’on retrouve le cadavre de Mademoiselle Noblet dans un terrain vague, les soupçons portent rapidement sur lui…

Quelques spoilers.
 

Il règne une sale odeur dans le cinéma français, au sortir de la guerre. Trois ans après Le Corbeau, voici un autre film occupé à filmer le bon peuple français en horde sauvage qui s’ignore, baignant dans un quotidien de sales petits commérages, prompt au jugement moral, aux effets de troupes, et à la tentation du lynchage.

On est évidemment tentés d’y voir l’ombre coupable de ce que fut la France occupée, et la misanthropie logique qui put en découler. Le film à ce titre se tient au croisement de deux époques : celle du réalisme poétique d’avant-guerre, dont il hérite les milieux populaires, les bons mots, les chansons de rue, l’ésotérisme et la fatalité, ou encore les parias (Hire sur les toits semble un écho de Gabin enfermé dans sa chambre face à la foule, dans Le Jour se lève) ; mais aussi l’ère naissante de Clouzot, de sa perfection technique et rythmique, de ses scénarios policiers implacables, du mal qui rôde partout et en chacun, des mécaniques sadiques broyant les personnages. Pour le dire autrement, au sortir de la guerre et sous ce nouveau regard, le cinéma français d’antan a soudain une sale gueule, comme démasqué et coupable, il n’a plus rien de charmant. Le cinéma de Duvivier est certes pessimiste par nature, mais c’est bien plus ici : il semble surtout difficile en 1946 de regarder encore ce peuple et ses oripeaux avec sympathie et bienveillance, de continuer à peindre ce flonflon quotidien comme inoffensif et bon enfant – d’où ce tableau de France populaire dont on aurait comme grippé la machine, qui continuerait à vide, se faisant soudain fanfare pénible, intenable.

Qu’est-ce qui fait alors que ce film, qui se présente comme une œuvre aussi ciselée qu’implacable, peine à susciter mon admiration ou mon adhésion ? Peut-être, au fond, parce qu’il s’installe ici une vision à la misanthropie trop totale pour ne pas paraître un peu satisfaite, fonctionnant sur une mécanique appliquée (jusqu’à sa chanson de fin à l’ironie fière) qui lui donne des airs plus roublards que viscéraux. Tout le monde est à jeter dans Panique, du Michel Simon pathétique et manipulable aux héros intéressés, sans parler des habitués ou de la foule où presque rien ni personne n’est à sauver. Ce qui n’empêche pas le film d’être très fort par moments – notamment dans son approche architecturale (la casbah de Pépé Le Moko, Duvivier la réinvente ici dans le dédale d’un Paris d’escaliers, de couloirs, manège enchevêtré de chambres donnant les unes sur les autres, de toits alambiqués où l’on fuit… Le modèle du décor à la Trauner semble être rentré en dégénérescence). Et puis il y a la forme d’un film ivre de sa propre mécanique d’horreur (ce manège au mouvement inlassable, ces mouvements de foule, la violence de la scène aux auto-tamponneuses) qui sait à l’occasion filer quelques claques, à défaut de tout à fait convaincre.

 

Réactions sur “Panique Julien Duvivier / 1946

  1. Bonjour Tom,
    Si Panique est un des films de Duvivier que j’aime, c’est justement parce que j’y décèle des touches qui vont à rebours de la misanthropie générale, touches apportées par le personnage subtil de Viviane Romance: ses discrets élans d’empathie pour Monsieur Hire nuancent le cynisme du propos donc rendent le film plus vrai et plus vivant.

    Sinon, le film est adapté d’un roman de Simenon écrit au début des années 30.

    Bonne année !

  2. Hello Christophe, bonne année !

    Oui en effet pour Vivian Romance – je l’ai peut-être plus vue comme un personnage effleuré par l’intuition de l’horreur ambiante, que comme quelqu’un qui pourrait s’y opposer (et donc à peine plus à sauver que les autres), mais elle permet au moins de ne pas suivre le film de l’extérieur et d’y avoir une accroche. Il y a le patron de bar aussi, dans une moindre mesure.

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