Outrage Ida Lupino / 1950

Dans une petite ville américaine, Ann Walton, jeune comptable, doit épouser Jim Owens. Mais sa vie bascule le soir où elle est violée sur le chemin de son travail…

Quelques spoilers.
 

Comme pour Bigamie (qu’Ida Lupino réalisera trois ans plus tard), il est difficile de ne pas voir Outrage pour ce qu’il est d’abord manifestement, c’est-à-dire un film-à-sujet (comme en témoigne son final particulièrement didactique et laborieux), occupé à attaquer de front un tabou de société alors encore à peine discuté.

Sur ce point, il serait évidemment facile de faire fi du contexte (à savoir celui d’un cinéma et d’une époque où ne serait-ce qu’aborder le sujet était impensable) pour ne plus voir dans ce film que ce qui y a vieilli, et qui désormais saute au yeux : cette jeune femme qui ne peut se reconstruire que via le patronage d’un bon homme d’église paternaliste par exemple ; ou bien le fait que celui-ci, face à elle, ne soit que manières suaves, touchers, et attitudes toutes en sous-entendus (bref, le contraire de ce qu’on attendrait du comportement à adopter face à une personne sexuellement agressée). On pourrait y ajouter la façon dont le geste violent d’Ann en fin de film n’est analysé que comme une confusion traumatique (alors qu’elle fait face à un garçon réellement agressif face au non-consentement qu’on lui oppose), ou encore cette manière dont le film renvoie le viol à une affaire de criminalisation galopante (loubard anonyme qui va faire ça dans un coin de rue – surtout pas un homme de l’entourage proche, ou issu de cette communauté chrétienne évidemment au-dessus de tout soupçon).

Passons sur ces anachronismes, qu’il serait bien mesquin d’opposer sérieusement au film, pour se pencher sur ce qui à mon sens constitue son principal échec : le fait que, d’abord parti pour accompagner l’héroïne dans son chemin de croix et de reconstruction, le point de vue se déporte très vite sur les autres personnages (dès la première soirée, préférant d’abord les états d’âmes du père au calvaire de la jeune fille), pour ne très vite plus la filmer que “de l’extérieur”, animal effrayé et énigmatique dont l’intériorité nous est refusée, sinon aux moments-clé ou sa réflexion laisse place à la panique. Le souhait de l’héroïne, en début de film, “d’aller au travail toute seule” lui est en quelque sorte refusé par la cinéaste qui se met successivement du côté du pasteur, puis des juges, de tous ces gens compréhensifs se penchant de bien haut sur son cas.

Alors certes, réduire le film à ce transfert est un peu malhonnête, Lupino déployant une fois encore de vrais talents aux moments décisifs – lors de la scène menant au viol d’abord, tendue sur un fil, qui fait le choix a priori curieux de ne pas s’en tenir au point de vue de l’héroïne (on est tout autant avec son agresseur), et qui permet en cela d’éviter à la scène de se faire thriller, de se faire jouissance horrifique ; ou encore dans cette relation ambigüe (teintée de romance) avec le pasteur, qui nuance et colore de doutes la dernière partie du film. Mais pour le reste, Lupino apparaît surtout comme l’une des nombreuses figures de cette fin de règne Hollywoodienne, à l’heure du goût naissant de ce cinéma pour la psychologie et son didactisme, et pour une rhétorique visuelle qui se donne à voir – jeux de sons, de montage, tentatives d’illustrer savamment la névrose : on peut juger que tout cela est aussi élégant que passablement vain (seul le klaxon, en ce qu’il incarne un cri que le quartier et la société ne veulent pas entendre, atteint le spectateur au cœur). L’approche générale, comme dans Bigamie, reste avant tout curieusement froide, comme un peu théorique et en surface, pas toujours apte à nous faire épouser les émotions de ses personnages – à l’image, au fond, de tant d’autres “grands films” un peu ingrats produits dans cette derrière ligne droite de l’âge d’or d’Hollywood.

 

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