Dawson City : Le Temps suspendu Bill Morrison / 2016

1978, Canada, à 560 kilomètres au sud du cercle polaire arctique : une pelleteuse fait surgir de terre des centaines de bobines de films miraculeusement conservées, datant de l’époque de la ruée vers l’or…

 

Ce film est d’abord une belle surprise : délaissant les formes redoutées de l’élégant documentaire informatif façon Arte, Bill Morrison opte pour une narration singulière, qui n’est pas sans évoquer celle du Poussières d’Amérique de Despallières – des textes à l’écran viennent faire le récit maudit des lieux par de courtes phrases, dispensées avec la calme régularité d’un métronome.

C’est donc dans un bain sourd et silencieux d’images d’archives que le spectateur est plongé, comme pour une sorte de lente hypnose. Malgré les titres de films toujours scrupuleusement renseignés à l’écran, la confusion règne, Dawson City tenant à mélanger toutes les images anciennes en un même magma nostalgique : films amateurs ayant capturé l’endroit au début du siècle, films hollywoodiens muets retrouvés sur place, documentaires datés sur la ruée vers l’or… Qu’importe la source, qu’importe l’année, du moment que son âge avancé entretienne le trouble. Jusqu’à son plan final, Dawson City plongera ainsi tête la première dans cette poésie de l’image abîmée et fantomatique, et la lenteur lancinante du film, tout comme sa musique d’une intarissable mélancolie (mêlée au sentiment de catastrophe, récurrent tout au long du film, face au nombre de bobines détruites au cours du temps), créent autour du spectateur un cocon de tristesse, une sensation de vertige pour cet univers de neige et de douleur perdu à l’autre bout des temps.

On finit par se lasser, cependant, de ce flux audiovisuel ininterrompu et non structuré, dont la force hypnotique se fait parfois plus franchement pénible (la musique et ses boucles, notamment, n’offrent pas un seul moment de respiration à l’esprit ou à l’imagination), et dont le vagabondage aléatoire à travers l’histoire laisse assez perplexe (le segment baseball, quel rapport ?). Les partis-pris plein d’emphase du cinéaste finissent par ressembler à de la coquetterie de surface (ce grondement sonore lourd de sous-entendus face à n’importe quelle situation, ou encore cette manie vaine d’illustrer les évènements décrits par tous les films de fiction possibles retrouvés sur place, d’une façon automatique et pas très inspirée).

À force de ressasser cette idée d’un temps ancien à tout jamais perdu, sans jamais la faire évoluer ou grandir d’une quelconque façon, le film ne semble bientôt plus tenir que sur une vision un peu simplette et unidimensionnelle de la perte, résumée à des effets de surface (un filtre instagram Max Richter, dirons-nous), et qui tient mal la comparaison avec d’autres documentaires du genre (le nostalgique Of Time and the City, par exemple) qui n’avaient aucun mal à déplier une ample et complexe narration d’un postulat voisin. Malgré les richesses et singularités que Dawson City hérite de la carrière passée du cinéaste (plus habitué aux productions expérimentales), le résultat évoque surtout au final des objets un peu creux comme Into Eternity (Michael Madsen), dont la note singulière tenait de la posture ou du joli habillage un peu superficiel, simplement répliqué en boucle sur plus d’une heure trente.

Dawson City : Frozen Time en VO.

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