Orlando Sally Potter / 1992

Orlando est un jeune aristocrate anglais ; lorsqu’il rencontre la reine Élisabeth, celle-ci décide d’en faire son courtisan favori…

Quelques spoilers (j’ai découvert ce film sans rien savoir de son récit, ni du roman originel, et je soupçonne que ce fut une raison de mon plaisir et de mon émerveillement ; si c’est aussi votre cas, je vous conseille donc de ne rien lire de ce qui suit).
 

Peu de temps à consacrer à ce blog en ce début d’automne, mais tout de même quelques mots sur ce film délicieux et vivifiant, pur spécimen de ce que les années 90 eurent de plus charmeur : ce maniérisme haut en couleur (à la fois ludique et lyrique, tout ici respire la joie et la jeunesse), allié à la fière virtuosité du cinéma indépendant d’alors, aux discours encore très assurés. Il en découle une formidable efficacité narrative, comme en témoigne notamment cette science des ellipses, qui donnent à Sally Potter des airs de conteuse (chapitrage gracieux en forme de pas de côté soudains, transitions du récit comme dansées, émaillées d’adresses au spectateur – passages de relais presque plus frappants et parlants que les segments eux-mêmes).

Faire jouer l’Orlando masculin par une actrice, la grande idée du film (le trajet du roman aurait plutôt sous-entendu l’inverse), crée finalement moins un trouble lié aux genres qu’elle ne permet de constamment préserver dans ces images d’époque une tension vivifiante (là où la surcharge costumière et décorative pouvait menacer d’empeser le récit). Cette abstraction aide aussi à entretenir un certain nombre d’illusions – la première étant de toujours conserver à l’écran, et sans que l’on s’en rende d’abord vraiment compte, l’image d’un jeune homme malgré les années qui passent (personnage qui aborde de fait toutes les situations avec pureté et innocence, avec candeur et une certaine stupeur, qui fait que le récit ne perd jamais sa fraicheur).

La fin de cette tension, à l’heure de la métamorphose en femme, transforme le film de l’intérieur : en voyant soudain l’actrice habiter le corps que la norme lui désigne, ou les parures qui lui sont dévolues, on a le sentiment paradoxal de la voir soudain “jouer la comédie”, comme dans un rôle dont les rituels sonneraient tous faux. L’effet est saisissant, mais c’est aussi le moment de la fin de l’innocence pour le personnage (et pour le public, dans un même élan), qui commence alors à porter un regard lucide et analytique sur ses pairs et son temps, délaissant le plaisir naïf et insouciant des aventures picaresques.

Et c’est ce changement de registre que Sally Potter a plus de mal à accompagner, peinant à lui trouver une forme aussi ample que celle du film qui lui a précédé. Si le passage XVIIIe siècle est d’une ironie sympathique, la rencontre avec la sexualité a plus de mal à convaincre (il faut dire que Billy Zane, sans doute choisi pour le paradoxe de ses traits légèrement féminins, impose par ses manières de top model une idée assez vulgaire de l’amour) ; quant au final, aspiré par une fuite à travers les temps qui avait jusqu’ici eu la qualité d’être discrète et subliminale, il frise le gimmick. Le grand portrait promis du genre sexué à travers les âges, les grandes leçons de l’apprentissage d’une vie, semblent soudain résumés à la trivialité d’un geste vaguement punk, dont on peut certes apprécier le court-circuit narratif. Il reste que sans démériter, le film paraît alors, pour la première et unique fois, quelque peu daté et marqué par les modes de son époque.

Rien qui n’entache, cependant, l’immense plaisir de ce petit classique instantané, qui se vit comme un généreux coffre aux trésor – et qui m’a tant envoûté que j’ai un peu peur à présent de revoir le film, craignant de n’avoir été étourdi que par le charme de surface d’un grand livre d’images (ou par des qualités, tout du moins, qui doivent davantage à Virginia Woolf qu’à son adaptation cinématographique).

 

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