Orfeu Negro Marcel Camus / 1959

À la veille du carnaval de Rio, Eurydice arrive de la campagne pour retrouver sa cousine Sérafina. Elle fait alors la rencontre d’Orphée, conducteur de tramway…

 

L’impression première que donne Orfeu Negro, c’est celle d’être un film daté. C’est paradoxal pour ce projet qui, par son casting entièrement noir, ou par le fait d’être entièrement tourné en portugais, semble s’affirmer comme une altérité dans le cinéma français d’alors, comme un film en avance sur son temps, et sur le ton colonial qui pouvait encore y être de mise.

Mais Marcel Camus n’est pas un cinéaste assez affirmé, et le film, par ses automatismes et académismes (dès cet effet visuel passablement vieilli brisant l’écran en ouverture), s’avère très perméable à son époque. Et notamment à un certain “exotisme de gauche” ici criant, qui peint les favelas comme un paradis terrestre où tout le monde chante, danse, et sourit constamment sans raison, tel un peuple d’enfants – le Brésil devenant une sorte de projection aux utopies occidentales, folklore coloré comme un collier de fleurs, troquant le mauvais pour le bon sauvage, martelant une vision aussi manichéenne que son équivalent raciste.

Le film, pourtant, transcende régulièrement ce parti-pris peu ragoûtant, par son jusqu’au-boutisme et l’abstraction qui en découle : quels qu’en soient les ressorts douteux, cette vision du Brésil fonctionne aussi comme un dispositif formel radical (on pourrait dire, en somme, que c’est un film tout bougé-dansé, tout comme ceux de Demy seront tout parlés-chantés). Abstraction renforcée par le choix d’adapter un mythe, dont les traductions dans le Brésil moderne ne sont pas sans fulgurances. La manière dont les personnages dansent, toujours, même lorsqu’ils s’engueulent ou se battent, même quand il se caressent (la marche pieds sur pieds), donne l’impression que les humains sont pris d’une transe constante, que la vie même est une transe, une sorte de chanson de geste littérale qui ne s’immobilise qu’à la mort – ce qui confère à toutes ces péripéties une autre portée.

L’explosion de formes et de couleurs, enfin (notamment dans les passages plus macabres) séduit comme le ferait tout musical, et quelques échappées ou petits moments de flottement emportent réellement le morceau (Orphée et Eurydice assis face au ciel, pris dans une torpeur douce). On peut espérer que c’est d’abord cela, la rêverie colorée et sa musique continuelle, qui ont marqué toute une génération, plus que l’exotisme discutable les ayant permis à l’écran.
 

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