L’Île rouge Robin Campillo / 2023

Au début des années 70, sur une base de l’armée française à Madagascar, les militaires et leurs familles vivent les dernières illusions du colonialisme.

Quelques spoilers.
 

Il est difficile de cerner ce qui dysfonctionne dans ce film dont les différentes parties forcent pourtant le respect, et dont l’ambition ravit.

Campillo, manifestement, cherche avant tout ici à désigner, à identifier et à circonscrire l’atmosphère qui fut celle de son enfance introvertie : un mélange de sensations chaudes et de couleurs rouges, de relation fusionnelle à la mère et de conflits familiaux larvés, de paradis perdu à l’image et de cauchemar politique aux abords – insensibles vibrations sismiques d’un colonialisme français alors sur son déclin. Cette identité, le film parvient très bien à la saisir, et même un peu trop : son principal défaut est de foncer droit sur ce qui l’intéresse, plutôt que de laisser sa vision du monde émerger organiquement, à la périphérie, aux détours secrets d’un récit qui s’avère un peu maigre.

Tout est à l’image de cette scène de soirée entre adultes, lourdement construite autour et pour une image, celle de la vision mosaïque des corps à travers une porte vitrée – le reste devenant accessoire. On pourrait aussi citer la visite à l’église, qui n’a d’autre but que de profiter des jeux de lampes de poche à travers les vitraux ; ou encore la facticité surlignée de ces rêveries de Fantômette… Autant de cas insistants où ce qui intéresse le cinéaste se voit comme le nez au milieu de la figure, s’imposant sans patience par un montage trop plein qui ne laisse pas assez infuser les situations, qui ne leur laisse pas le temps de distiller leurs saveurs, préférant en faire un immédiat et plus superficiel festin. Sensation d’autant plus prégnante que le film en sait beaucoup plus que le gamin, dont il entend pourtant épouser le regard, sans faire confiance en ce que le monde a pour lui d’incompréhensible, de cryptique et de suggéré, de perçu du coin de l’œil.

Même frustration devant le geste politique final, plutôt brillant sur le papier, qui consiste à soudain chasser du film (en même temps que du pays) le post-colon français, sa langue, puis ses personnages, pour soudain nous dévoiler tout le hors-champ révolté qui grondait aux abords de la base militaire. Mais l’accumulation alors de discours politiques (visant certes à poser des mots sur ce qui était jusqu’ici tu) laisse une impression plus volontariste que sidérante – les confidences amusées toutes simples de deux personnages retrouvant soudain leur langue natale, dans un coin de salle des fêtes un peu plus tôt dans le film, a au fond bien plus de vibration politique.

Dieu sait pourtant qu’on partage l’envie de Campillo de se débarrasser des péripéties scolaires, des personnages aux arcs trop dessinés, pour extraire le suc du souvenir, de l’identité de ces lieux et de ce temps ; mais en l’état, son film trop volontaire, trop revendicateur dans sa manière de passer du coq à l’âne, laisse plutôt l’impression d’une excellente bande-annonce, d’un rêve de film à mettre en œuvre, d’une promesse en suspens. Reste un projet à l’ambition grandiose, et l’une des plus grandes réussites formelles de ces dernières années – Jeanne Lapoirie signe ici le plus beau travail lumineux de sa carrière1.

 
 

Notes

1 • Notons néanmoins, car décidemment ce film est appelé à être frustrant, que ce fantastique travail de photographie se trouve parasité par un travail de cadre bizarrement hésitant, du moins comparé à la qualité des images (le format carré est d’ailleurs souvent ici moins singulier qu’étouffant, morcelant sans raison les scènes de groupe).
 

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