Le Redoutable Michel Hazanavicius / 2017

Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Mais la réception du film enclenche chez Godard une profonde remise en question…

 

On retrouve dans ce film une particularité propre au cinéma d’Hazanavicius : la précision fétichiste du détail, ce pointillisme d’idées élégantes qui flottent, comme autant de microscopiques poissons, dans le grand aquarium gêné de scènes qui se callent mal autour d’elles, qui ne savent pas les prendre en charge rythmiquement. C’est déjà ce qui frappait dans les deux OSS, où la perfection détourée d’un dialogue génial, d’un gag, ou d’un lever de sourcil ciselé de Dujardin, erraient dans une continuité sans élan comique, sans énergie d’ensemble.

Et cela prend des proportions terribles dans Le Redoutable, où l’absence d’élan vital finit par transformer le film en quelque chose de profondément mesquin. Le problème ici n’est pas de s’attaquer à Godard : l’homme, son cinéma, ou le milieu critique dévot qui le célèbre encore aujourd’hui, compilent assez de traits détestables pour remplir dix films – la déconstruction du mythe par un cinéaste aussi capable, et cinéphile véritable de surcroit, relevait de l’urgence. Mais le film d’Hazanavicius, dans sa méticuleuse entreprise de sape, ressemble à une équation sans résultat : il ne fait qu’éroder la statue de Godard, sans contrebalancer ce geste soustractif de rien. Le film ne témoigne ni de l’énergie cruelle d’une satire violente (il est bien trop référentiel-chichiteux pour ça), ni d’une fascination quelconque pour le bouleversement social de ces années-là. Le Redoutable tenait en lui une belle promesse, laissée sans suite : celle d’être un vrai film populaire sur Mai 68, qui serait capable d’en tirer un bilan, sans complaisance lyrique pour la période et ses mythes. Le résultat, sur ce point, est particulièrement décevant : une vue de CRS apeuré par ci, quelques intellectuels parisiens teigneux par-là… Qu’importe la reconstitution ambitieuse, tout devient petit.

D’un bout à l’autre, le film apparaît ainsi recroquevillé. Il semble par exemple assez démuni face à la crise que traverse Godard : s’il cible parfaitement ce que sa révolution intérieure peut avoir de prétentieux, de ridicule, ou encore l’impasse temporaire qu’elle a pu constituer, il est gênant qu’Hazanavicius ne semble pas en comprendre, ni en partager, l’absolue nécessité. Pour le dire autrement, il y a quelque chose d’assez glaçant à voir le film chérir la période première de Godard (par une série de pastiches pop, qui relèvent d’ailleurs d’une lecture assez superficielle de son art1), comme s’il désirait et demandait au cinéaste une stagnation du style – alors que s’il y a bien une chose qu’on peut reconnaître à l’œuvre de Godard, jusque pour ses détracteurs, c’est qu’elle fut toujours exigeante avec elle-même, inquiète de son propre confort, continuellement changeante.

Que reste-t-il, alors, pour mettre le film en mouvement, sinon le spectacle du délitement d’un couple foncièrement ingrat (époux ignoble, épouse nunuche) ? Faut-il lire là un autoportrait masochiste de son réalisateur (on demande à Godard de faire des films légers, comme on demande à Hazanavicius un troisième OSS) ? Faut-il y voir un situationniste, reconverti à l’esprit Canal, simplement continuer la guéguerre que ses pères entamèrent avec Godard il y a 50 ans ? Le film, en tout cas, impressionne par le cocktail prometteur et coloré qu’il a en main (l’art face à l’Histoire, les intellectuels face au peuple, le courage indéniable qu’a le film à s’attaquer au père), pour finalement en tirer si peu de souffle… Au milieu de tout ça, la bonne surprise vient exactement de là où on ne l’attendait pas : de Louis Garrel, qui au-delà de parfaitement s’approprier Godard (moins par imitation qu’en en chérissant certains traits bien choisis), mêle par son jeu la méchanceté de la satire à une palpable tendresse. Exactement ce qu’aurait pu être le film.

 

Notes

1 • Si les petits passages référentiels désolent, il serait injuste de réduire les essais d’Hazanavicius à cela. Le long travelling au tag, par exemple, qui nous oblige à choisir entre écouter la conversation ou lire l’aphorisme, est une belle trouvaille renvoyant déjà plus profondément au cinéma de Godard (peut-être, justement, parce qu’elle ne fétichise rien de très précis dans sa filmo, mais renvoie plutôt à un état d’esprit).

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