La Victime Basil Dearden / 1961

Grand avocat londonien et père de famille, Melville Farr est sur le point d’embrasser une carrière de juge. Lorsque “Boy” Barrett, son ancien amant victime de chantage, l’appelle à l’aide, Farr refuse de l’aider, craignant pour sa carrière…

Quelques spoilers.
 

Un film pionnier sur l’homosexualité, pile à l’époque où le cinéma anglo-saxon rentrait dans sa phase édifiante et psychologisante, pleine de torts à redresser et de sujets de société à surligner ? Il y avait tout pour faire de The Victim un film aussi utile (et il le fut) qu’indigeste, objet social ayant simplement emprunté les habits du cinéma. Et de fait, le film est indéniablement bavard et explicite (jusqu’à son titre, qui enfonce le clou pour le spectateur sourd et aveugle qui aurait mal compris), venant pointer toutes les dix minutes au débat de société en exposant une à une toutes les clés du “sujet”, tout en ménageant docilement les sensibilités (« je sais que je suis anormal, je n’ai jamais cherché à corrompre les normaux »)…

Pourtant, le film est passionnant. Parce que s’il relève certes d’une fibre pathétique, voire lyrique (la figure du jeune sacrifié, que la caméra fait tout pour fragiliser en gamin martyr et terrorisé – jusqu’à sa photo compromettante où il n’est même pas montré entrain de baiser, mais de pleurer !), les rouages dramatiques sont ceux du thriller. Et ce dès l’ouverture, qui prend soin de placer d’emblée le récit sur les rails de la course et de la fuite, du mystère à résoudre, du réseau.

Curieusement, ce film défendant les homosexuels utilise donc pour ce faire les leviers-mêmes de l’homophobie : comme le dit un antagoniste, « ils sont partout » (au point, presque comique, où les personnages masculins du film qui s’avèrent ne pas être homosexuels se comptent sur les doigt d’une main). Le récit est brillant dans la manière dont il tisse cette grande toile d’araignée, on se croirait dans Les Envahisseurs : cette présence « d’eux partout parmi nous », société parallèle, chaque visage de bon voisin cachant une possible victime (c’est le tour de passe-passe du film : on ne découvre pas un homosexuel, on découvre une victime de chantage), broyée par une société de la peur, par une menace omnisciente et invisible (car littéralement aveugle, jolie idée du script).

Si le film a plus de difficultés dans son dernier mouvement, qui n’a plus que la dignité de son héros allant au front pour contrer l’avalanche de pathétique et de discours didactiques, il relève au final assez remarquablement le défi du “film-à-message”. Et brille encore davantage avec le recul des ans, le projet gagnant au vertige méta de sa conception, où un acteur (Dirk Bogarde) dans le placard risque sa carrière pour jouer un personnage dans le placard risquant sa carrière – et l’affichant à la vue de tous, aux yeux d’un public tout entier qui voit cet aveu à l’écran sans le comprendre, quand bien même on le lui dit explicitement et dans les yeux.

The Victim en VO.

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