Quelques spoilers.
La Lumière bleue, première réalisation de Riefenstahl, est très proche de ce que sera sa dernière fiction (Tiefland) : c’est un Bergfilm, ancré dans le folklore d’un pays fasciste étranger (ici l’Italie), autour d’un personnage innocent et infantile (la “petite” Junta, comme on l’appelle) qui vit réfugiée dans les monts sauvages et intouchés. Comme dans Tiefland, Riefenstahl actrice est la plus grande faiblesse de son propre film : son visage trop adulte, son apparence sophistiquée et la faiblesse de son interprétation schématique peinent à incarner l’innocence recherchée (cela n’étant pas aidé par le narcissisme avec lequel Riefenstahl se met en scène, dans un film qui commence et se termine par sa propre photographie)…
Au-delà des carences typiques des cinéastes débutants (concert laborieux de plans de réactions appuyées cherchant à créer des scènes), Riefenstahl est en fait surtout soucieuse d’imagerie figée (de son propre aveu, sans l’intervention de Fanck au montage, le film n’aurait été qu’un “livre d’images”), tout en baignant dans les maladresses du début du parlant (musique insistante et surprésente, dialogues flottants). Le film, cela dit, se présente moins comme le précurseur redouté de l’imagerie nazie (idéalisation passéiste et fantasmes de pureté) que comme un dérivé kitsch du cinéma d’Arnold Fanck – qui était déjà perfusé et trop gavé d’art romantique. Les scènes pastorales avec animaux autour de la maisonnette ressemblent à vrai dire à du Disney avant l’heure : entre la chaumière merveilleuse et les plans de la mine aux diamants, dans un film parlant d’une “sorcière” et pourchassant une jeune fille vers les bois qu’on retrouvera en demoiselle endormie, tout Blanche-Neige est déjà là.
Le fond réactionnaire de l’imagerie du film n’est cela dit pas sans intérêt, ni sans ambiguïtés. La communauté par exemple est bien moins idéalisée qu’on l’attendrait dans un Bergfilm – fermée, taiseuse, inquiétante à l’occasion, prompte au lynchage, elle obéit à un autre héritage plus intéressant : celui du film d’épouvante (sensible dès cette calèche et ce voyageur abandonné en ouverture, motif qui fait écho à Nosferatu). À la façon d’un film d’horreur, quand la nuit tombe, c’est “l’autre soi” qui se réveille, comme dans la scène la plus inspirée du film où les jeunes hommes, et seulement eux, deviennent soudain des êtres de pulsions qu’il faut enfermer, comme autant de loups-garous sous la lune, prêts à courir en chien après la richesse et la jeune femme des montagnes, devenue à elle seule tout un chant de sirène.
Ce personnage féminin, comme sa grotte (une fente que tout le monde veut pénétrer, littéralement), lie dès lors sexe et appât du gain en une même tentation coupable. Du rapport mystique et presque érotique qu’a Juta avec “sa” montagne (on pense à Melancholia, et à Justine nue face à l’astre de nuit), jusqu’à cette découverte finale du lieu éventré qui résonne comme un viol, cette double lecture reste ce que le film a de plus stimulant. Plus généralement, le contraste entre ce fond puritain mais tortueux, et l’imagerie de carte postale niaise (quoique plaisante visuellement) fait tout l’intérêt de ce film maladroit, raté et régulièrement kitsch, mais somme toute une bonne surprise qui s’inscrit à sa façon dans la vague de films fantastiques du début des années 30.
Das Blaue Licht en VO.