Duvidha Mani Kaul / 1973

Un fils de marchand, sitôt ses noces célébrées, délaisse son épouse pour aller faire fortune en ville. Un fantôme, qui s’est épris de la jeune femme, adopte alors l’apparence de son mari pour aller vivre à ses côtés…

 

Duvidha, adaptation d’un conte traditionnel du Rajasthan, est l’un des avatars du cinéma indépendant indien de la deuxième moitié du siècle, dont on connaît peu de choses en France une fois sortis du trio Ray-Ghatak-Sen.

Ce film semble, historiquement, avoir proposé une troisième voie : une alternative qui ne relevait ni des codes passionnés et fantaisistes du cinéma commercial à stars (qu’on commençait alors seulement à appeler “Bollywood”), ni de ce réalisme social qui semblait alors tenir lieu de seule identité possible pour les productions indépendantes. Je ne sais pas à quel point ce film est matriciel (restons prudents), mais je suis frappé par la manière dont il semble déjà condenser les formes et réflexes narratifs des quelques films indiens indés célèbres, et ultérieurs, que j’ai eu l’occasion de voir. Il partage avec Mirch Masala l’identité visuelle (teintes ocres et violentes percées chromatiques), ainsi que le décor désertique ; il transmet aux films de Gopalakrishnan la torpeur et l’abattement des corps ; il trace une voie vers Char Adhyay de Kumar Shahani, dont il a la lenteur, le vide, les modèles Bressoniens et les phrases prononcées à blanc… Il semble donc qu’il y ait là, au-delà des spécificités régionales qu’on met si souvent en avant pour parler du cinéma indien, un gigantesque réseau d’influences à l’œuvre, qu’il serait passionnant de démêler. Ceci étant dit, je connais tellement mal le sujet que je dois dire beaucoup de bêtises, et j’arrête là mes suppositions !

Qu’en est-il du film lui-même ? Deux choses, principalement, sautent aux yeux : sa beauté formelle, et sa pauvreté (sensible ne serait-ce que par l’usage répété d’images fixes, en place et lieu des plans que le montage n’a visiblement pas toujours sous la main).

Cette beauté ne tient pas tant à des talents de peintre, qu’à une manière d’aborder le monde par le biais des perceptions (et ce dès le début, coincés qu’on est entre les voiles du char marital ; ou encore plus tard au plus près de l’intimité des deux amants, dans cette pièce plongée dans le noir). C’est également un monde approché sous l’angle de ses humeurs : le fantôme qui pénètre la maison y inscrit son irréalité spatiale et temporelle, et le film tend très rapidement à endormir. Mais c’est moins par désintérêt ou ennui que le spectateur dérive, que par la façon dont le montage, à y regarder de plus près, ne travaille jamais les liens entre espaces, entre les actions et leurs conséquences, entre l’image et le son (qui sont rarement concomitants, les paroles vagabondant en toute liberté entre les dialogues et la voix-off reportant ceux-ci). Sur des notes de musique lancinantes et répétées, les quatre ans de bonheur du couple illégitime consistent ainsi surtout à voir la mariée, voilée comme un spectre, errer telle une somnambule entre des murs au blanc aveuglant, ou encore à observer des corps muets frappés de sommeil ou d’abattement.

Le film en tire un vrai charme, une vraie personnalité, qui tient à la fois de l’hypnose et d’une mise en image un peu mystérieuse, presque naïve et archaïque (comme venue d’avant le temps de la narration et des péripéties savantes), épousant idéalement les ressorts et enseignements bizarres de ce conte ancien. Dans la dernière partie du film cependant, les carences de Mani Kaul se font plus visibles, et il devient difficile de vivre ses choix comme des parti-pris quand ceux-ci mènent à des scènes aussi gauches, voire incompréhensibles. On retient de tout cela un style prometteur, dont on ne sait trop ce qu’il doit à l’inspiration du cinéaste, à la pauvreté du film, ou aux normes d’un cinéma d’auteur déjà trop endormi.

 

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