Une sale histoire Jean Eustache / 1977

Un homme raconte, devant une assemblée essentiellement composée de femmes, comment il a découvert, dans le sous-sol d’un café parisien, un trou dans la porte des toilettes pour dames…

Légers spoilers.
 

D’Une sale histoire de Jean Eustache, je ne savais que deux choses : que le film était en deux parties, rejouant deux fois le même récit ; et qu’il était aujourd’hui jugé violemment misogyne, ce qui n’est pas sans intriguer. Mais je l’ai peut-être un peu trop approché selon ces termes, car à la vision le résultat me laisse circonspect.

La répétition du récit (sa version fictionnelle d’abord, puis documentaire ensuite) ne me semble pas présenter un vif intérêt : il y a trop peu de différences entre l’original et sa version rejouée. Il y a certes un vrai plaisir à contempler l’interprétation de l’excellent Michael Lonsdale, qui amène un côté dandy décadent à ce récit (par l’écart entre la grossièreté des mots et sa diction veloutée, face à ces bourgeoises souriantes évoquant quelque soirée “privée”), non sans parer son segment d’une certaine tristesse. Le calme de cette première partie confère aussi à l’histoire racontée une certaine abstraction, qui permet de la recevoir différemment… Mais c’est peu pour justifier ce double-visionnage – pas assez, en tout cas, pour gorger le dispositif d’enjeux.

La misogynie quant elle, ne réside pas tant dans le récit en soi (qui confesse une perversion d’emblée présentée comme telle), que dans le débat qui s’en suit, où Lonsdale, satisfait, semble faire la leçon aux femmes présentes, du haut de sa masculinité. C’est sur ce point, et sur lui seul, que la répétition a un intérêt : dans l’original documentaire, bien plus foisonnant en réactions, bien plus rapide et chaotique aussi, les remarques de l’orateur (Jean-Noël Picq) paraissent moins condescendantes, en ce qu’elles sont prises dans une dispute où chacun veut gagner du territoire, où les répliques sont embrouillées et improvisées, non sans rires au passage. Les attaques ne semblent pas pesées et réfléchies une à une.

On pourrait alors dire que ce double-programme permet de mesurer l’impact du ton dans un échange, d’apprécier d’un dialogue sa dimension d’expérience sensible, et en quoi elle peut en modifier le sens. Ou encore que ce dytique permet, par sa première partie pesant chaque mot, de révéler à rebours la violence sourde des propos prononcés. Mais je doute fort que l’un comme l’autre aient été un but d’Eustache, qui n’aurait alors créé là un dispositif que très partiellement apte à explorer ces différences.

Dubitatif sur le projet (j’en garde le sentiment que la première partie aurait suffi, pour son épure et le simple plaisir d’observer le jeu de Lonsdale), j’y vois cela dit une dernière possible qualité : en sondant les réactions sur le net, je me rends compte que chacun préfère une version ou l’autre, que chacun est mal à l’aise tour à tour devant l’une ou l’autre partie, chaque fois pour des raisons différentes. En cela, le film reste un témoin de la singularité du cinéma moderne où chaque spectateur, ramené à l’état de sujet et sommé d’avoir un rôle actif, ne peut penser et ressentir la même chose que son voisin de salle.
 

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