Rambo

Rambo Ted Kotcheff / 1982

John Rambo, vétéran de la Guerre du Vietnam, erre de ville en ville à la recherche de ses anciens compagnons d’armes. Alors qu’il traverse une petite ville pour s’y restaurer, le shérif l’arrête pour vagabondage.

Legers spoilers.

Rambo est peut-être moins un film sur la guerre du Vietnam que sur l’Amérique des années 80. Le personnage, s’il est bien le produit de la guerre, se présente d’abord comme un fantôme errant de la mauvaise conscience US, la ville entière s’efforçant à le supprimer avec une obstination suspecte. Pour cette population civile armée (garde nationale, flics, chasseurs de passage), la guerre n’est déjà plus qu’une imagerie, simple question de jeu viril, d’icônes, de mime (amateurisme souligné, fanfaronnade et excitation ludique dans la traque, jusqu’à cette photo qu’on prend devant le cabanon brisé, en singeant la pose des clichés de tranchées) : Kotcheff dresse le portrait d’un pays qui n’a plus idée de ce qu’est la réalité de la guerre, de la mort, de la douleur. La mission de ce personnage errant, et du film avec, va être de le lui rappeler.

Rambo consiste donc à ramener ce conflit sur le sol Américain, à investir ce terrain familier, comme pour un retour à l’envoyeur : en cela, le film est un pur enfant du Nouvel Hollywood, qui aimait à loger l’horreur dans le quotidien le plus banal. Mais la mise en scène, plutôt que d’intérioriser ce trouble, le déploie en réinventant le pays en territoire hostile (décors en trompe l’œil où la mort se dissimule), remontant le temps de l’Amérique iconique sur un mode cauchemardesque, non sans un certain onirisme macabre : policiers qui transforment la poursuite en chasse à l’homme sadique, forêt de pins transfigurée par l’orage funèbre, traversée hallucinée d’une mine où l’on se fait bouffer. Par la violence de quelques pièges archaïques aux accents rituels, le film semble fantasmer par flashs une Amérique primitive et phobique, d’avant la civilisation.

Là est l’hybridité du film : le cinéma hollywoodien des années 70 (terne, réaliste, politique, désemparé) y rencontre celui des années 80 (retour du genre, du héros surpuissant, de l’action). Le comique intermittent du film ne tient pas à autre chose : un corps typique des films d’action Reaganiens évolue dans les décors gris et naturalistes du Hollywood Watergate, créant un décalage absurde (prendre des postures de commando sur le parking vide de la supérette locale). Ainsi, sans renier au personnage son humanité (tout en lui appelle l’empathie : son calvaire, son éthique, son discours final), le film désigne constamment sa folie. Contrairement à Predator (auquel l’action primale fait souvent penser), Rambo ne nous laisse pas l’échappatoire d’une confrontation d’égal à égal : la seule intelligence à l’œuvre, le seul héros possible, le seul surhomme ici, c’est le fou.

Transition fascinante entre deux époques, ce beau film pousse à reconsidérer la nature du cinéma US des années 80, que les amoureux du Nouvel Hollywood (Thoret le premier) ont souvent décrit comme le retour d’un monde manichéen : refoulement des doutes, refuge dans l’imaginaire, réinvention du mythe d’une Amérique victorieuse. Or, sans tout à fait nier ce mouvement, il est à noter que Rambo oppose moins les codes du survival à la réalité, qu’il ne les fait poindre d’un réel transfiguré par la paranoïa d’un esprit malade (malgré la figure du surhomme, le film se présente comme un parcours doloriste, une traînée de souffrance se terminant en pleurs) : le genre n’y est, en quelque sorte, que le produit visible d’un trauma silencieux, qui courait sous les yeux taciturnes du personnage dès les premières images. Cet accouchement douloureux, cette sublimation du réel et des horreurs vécues en un cinéma qui ne souhaite plus seulement en faire part, mais aussi les recycler en un système esthétique cathartique, nous rappelle en quoi le cinéma américain néoclassique des années 80, si souvent conspué, charrie parfois sous ses airs basiques plus de richesse informulée que ses glorieux ainés.

First Blood en VO.

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