A Peck on the Cheek

A Peck on the Cheek Mani Ratnam / 2002

Thiruchelvan et Indra vivent avec leurs trois enfants. Lors de son neuvième anniversaire, ils apprennent à l’aînée, Amudha, qu’elle a été adoptée et que sa mère biologique vit au Sri Lanka.

Spoilers.

Mani Ratnam s’échine à entrelacer intime et politique, selon les modalités déjà à l’œuvre dans ses précédents succès : un couple se forme dans les germes d’un conflit civil (affrontements hindou-mululmans dans Bombay, naissance de la mafia tamoule dans Nayagan), tel une étincelle au milieu du noir ; puis cette famille est menacée de désintégration par la guerre qui en découle, comme si elle devait en quelque sorte payer l’addition de son bonheur, et en regarder les racines en face. Ici, à travers l’histoire d’une adoption, c’est la communauté tamoule de Madras qui est invitée à prendre conscience de la guerre civile que ses frères mènent par-delà le détroit de Palk.

Le face à face se fait ainsi le mode opératoire du film, jusque dans sa structure (une première partie indienne, une seconde partie sri-lankaise) : l’écrivain doit donner suite en actes à ses écrits, la gamine aisée est confrontée aux enfants soldats de la guérilla, les retrouvailles finales sont moins un moment de félicité qu’une injonction à rendre des comptes. C’est à cet instant, dans l’arène d’un lieu dévasté (que les adultes surveillent comme si le dialogue valait le désamorçage d’une mine), que l’habituelle naïveté politique de Ratman prend un sens : en s’obstinant à poser des questions d’enfant de 11 ans. Voir une petite fille riche demander à la guerillera blessée pourquoi elle l’a abandonnée a quelque chose d’indécent – une manière de demander, en fait, si les enjeux politiques (le décor de guerre désolé qui les entoure) valaient mieux qu’elle. Culot stimulant que le film dissout malheureusement dans un sentimentalisme qui floute les enjeux (toujours cette même impression, chez Ratnam, que l’incapacité à traduire les intentions en expérience émotionnelle précise empêche de traverser le récit autrement qu’en surface).

Le film tient cependant longtemps par l’énergie d’une pulsion forte, qui lui donne d’ailleurs son titre : celle de l’embrassade familiale (autre leitmotiv de cette filmo), enfants et parents repliés, endormis les uns sur les autres, cherchant constamment le contact et les caresses. La narration consiste alors à montrer la petite fille se libérer malgré elle de cette étreinte, frappée d’étranges symptômes l’appelant vers la mère originelle – et vers la mer tout court, limite où son voyage bute, regard fixé sur l’autre rive. Ces fugues, qui prennent moins l’aspect d’une curiosité raisonnée que d’un ensorcellement, montrent le conflit étouffé ressurgir chez l’enfant trop protégée, comme si s’était refoulée en elle la mauvaise conscience collective. En cela, bien que tamoul, Ratnam renoue avec l’une des plus belles caractéristiques de l’âge d’or du cinéma hindi, où la destinée des individus se faisait la métaphore de celle du pays.

Ces deux mouvements (attirance impulsive vers le pays originel, puis confrontation à la réalité de ces élans) aboutissent à une deuxième partie sous forme de descente aux enfers, dont la démesure séduit (décors opératiques ou fantômes, incursions violentes de la guerre dans le quotidien), mais que Ratnam manie trop maladroitement. L’artificialité des décisions des personnages adultes, qui répondent au moindre caprice d’une logique d’enfant faisant fi du danger, empêche toute identification sérieuse. L’absurdité des actes n’est pourtant pas un problème en soi : le problème, c’est que rien dans la narration ou la forme ne vienne souligner cette absurdité, en faire une transe interrogée, en faire un sujet. En refusant de regarder trop clairement cette folie en face, le film de Ratnam se met en échec, malgré toutes ses qualités (souffle romanesque, sens aigu du cadre, talent des situations – un exemple, parmi mille : la révélation qui fauche littéralement la fillette dans sa course vers l’âge adulte).

Le film est aussi le théâtre d’une autre défaite, qui dépasse la filmographie de Ratnam. Dans un cinéma populaire indien où la narration a toujours davantage tenu au tressage et au patchwork (de situations, de tons…) qu’aux règles d’Aristote, le lyrisme des chansons permet de régulièrement recalibrer les enjeux du récit. Or ce film nous donne la température de ce que ces séquences dansées sont aujourd’hui devenues : du clip. Non sans une inventivité décuplée (dans la mise en image, dans l’effet, même si c’est au risque de kitsch), mais en ne faisant que broder des variations sur une image iconique à qui l’on tresse un écrin : l’âge d’or des années 50, dont Bhansali avait si bien su synthétiser l’héritage dans les danses de ses films hindi, semble désormais avoir perdu son statut de modèle. Devant la splendide complexité de la première scène chantée de Bombay (que Ratnam réalisait seulement sept ans plus tôt, et qui racontait plus de choses en cinq minutes que les deux heures du film entier), on peut se demander si le cinéma indien n’a pas perdu l’un de ses savoirs les plus précieux au tournant des années 2000.

Kannathil Muthamittal en VO.

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