Matrix Resurrections Lana Wachowski / 2021

Thomas A. Anderson mène une vie d’apparence normale à San Francisco. Il est le créateur d’une trilogie de jeux vidéo à succès : Matrix

Quelques spoilers.
 

Matrix Resurrections est un drôle de semi-échec, ou de semi-réussite si l’on préfère. Comme le confesse un dialogue du film, cette suite n’a été faite que parce qu’on y a forcé sa réalisatrice : le retour de Lana Wachowski (sans Lili, donc) aux affaires sur sa saga phare laisse un sentiment bizarrement schizophrène en bouche.

D’un côté, l’ambition de la saga n’a pas disparu, aussi perfectible soit ce nouvel opus : en insérant les contraintes de production de son film au sein-même du récit, en allant jusqu’à projeter le film originel au sein du nouveau, Wachowski produit quelque chose comme l’empereur de cette vague méta qui marque la production Hollywoodienne depuis plus de dix ans. Mieux, elle en donne une version singulière au goût inédit, la réalisatrice semblant opposer à toute cette tempête réflexive une étrange fatigue, au travers du jeu usé, épuisé, et fragile de Keanu Reeves, ou de celui plus défait et douloureux de Carie Anne Moss. Leurs visages vieillis, à eux seuls (filmés avec autant de tendresse que les comédiens de Twin Peaks The Return), imposent de regarder tout ce cirque méta avec une certaine distance.

Ce qui a totalement disparu du film originel, par contre, c’est la manière : plus rien n’a survécu de la précision du regard des premiers Matrix, de l’opéra symétrique, du vertige informatique, de l’obsession du contrôle. Voir la scène d’ouverture du premier film rejouée ici est assez douloureux, en ce qu’elle semble presque remakée par d’autres réals, qui la pasticheraient sous une forme toc pour la sortie au rabais de quelque direct-to-video. Sur le plan de la mise en scène, il ne reste en fait dans Matrix Resurrections que les héritages de ce que furent les tentatives ultérieures des Wachowski : un côté kitsch, grossier, voire vulgaire (Speed Racer, Jupiter Ascending), l’ambition baroque (Cloud Atlas), l’exploitation de ressorts émotionnels basiques au lyrisme outré (Sense8), et une mise en scène de l’action devenue assez brouillonne (les bonnes idées – le bullet time inversé, les changements de gravité – sont mal exploitées, ou pourries d’effets). Ce mélange foutraque, dont les atours n’ont parfois pas grand chose à envier aux productions TV cheap, aboutit à un résultat à la fois moins cérébral, et en même temps attendrissant dans sa sincérité : fonder tout ce digest SF sur le premier degré naïf d’une histoire d’amour toute ronde donne au film une énergie simple, quand bien même elle a du mal à se départir d’un côté foncièrement niaiseux (l’épilogue, les coups de coude féministes lourdingues).

C’est en tout cas sur ce plan émotionnel que le film finit par convaincre, quand il délaisse à mi-parcours ses entrechats méta pour laisser place à un récit plus traditionnel centré sur le couple, qui normalise autant le film qu’il permet un peu d’implication affective au spectateur. C’est aussi par ce biais (revendiquer la romance, contre l’effort collectif acharné de tout un univers SF pour la faire taire) que Lana Wachowski retrouve enfin du poil de la bête dans sa scène d’action finale, comme reprenant soudain le leadership du film d’action US, en s’appropriant avec brio une marotte de l’époque (le film de zombie), dont elle offre une dégénérescence royale et ébouriffante. Pour quelques minutes, Matrix retrouve alors ses habits d’empereur.

L’ensemble laisse tout de même au final en bouche un goût assez petit, quoique teinté du parfum de liberté d’une cinéaste qui a envoyé valser les spécificités contrites de son univers et de ses délices formels, pour simplement profiter de ses acteurs et de leurs personnages bien-aimés… À tout prendre, ce n’était pas la façon la moins inintéressante, ni la moins personnelle, de rater le grand retour d’une saga.

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