Du sang et des larmes Peter Berg / 2013

Le 28 juin 2005, un commando de quatre Navy Seals prend part à l’opération “Red Wing”, qui a pour but de localiser et éliminer le leader taliban Ahmad Shah…

Quelques spoilers.
 

On est forcément un peu curieux de découvrir ce film américain, annoncé comme le plus outrageusement patriotique de la décennie.

Sur ce plan, Du sang et des larmes ne déçoit pas : c’est un film d’horreur qui s’ignore. Ce n’est pas seulement le côté réac qui joue ici à plein (virilisme étouffant d’une camaraderie militaire beauf, surhommes sélectionnés dès l’ouverture douteuse façon 300), ni encore l’idiotie politique de l’ensemble (tout focaliser sur l’opposition entre gentils afghans et méchants talibans, pour ne surtout jamais questionner la présence américaine sur place), ni même le côté joyeusement vomitif de la dramaturgie (sérieusement se demander à mi-mot, tout au long du film, si l’on a vraiment bien fait de respecter la convention de Genève).

Non, c’est surtout tout l’impensé du film de propagande qui ici fascine, laissant çà et là percer l’inconscient national. Comme par exemple ce moment de pure terreur, où un soldat paniqué demande en substance à un autre, comme pour se rassurer face aux talibans diablement efficaces : « ils courent plus vite que nous ? Ils ne peuvent pas être plus rapides que nous, hein ? ». L’inconscient au travail, c’est aussi cette dimension proprement SM du chant patriote, de ces images de torture porn servant d’ouverture jusqu’à ces interminables scènes de chute à la violence outrée, insistant délicieusement sur la douleur et ses sons, dans un festival de blessures atroces et de visages balafrés aux plaies béantes.

Enfin, il faut bien constater qu’une vision aussi niaise et manichéenne du monde permet une certaine efficacité cinématographique. Surprenante au sein d’un film d’apparence si générique, la longue séquence de traque en forêt, qui rejoue le western aux indiens invisibles (l’ennemi phobique en ses terres, indissociable de la nature son alliée), autant qu’elle tient du film de zombies (innombrables tireurs qui semblent se renouveler sans fin, qui sortent de partout, et qu’il faut dégommer avec acharnement), est un vrai bon moment de cinéma.

Ce long passage phobique, curieusement, m’a rappelé un autre film patriotique, qui lui aussi racontait un calvaire en forêt devenue piège létal, rythmé par la mort des membres de l’équipe et par des tentatives de contact radio : La Lettre inachevée, de Kalatozov. Il n’est pas question de comparer les deux cinéastes sur le plan de la virtuosité, et il n’y a pas de guerre dans le film russe de 1960 (juste une mission à effectuer pour la patrie), mais on y retrouve le même sentiment de catastrophe, de parcours doloriste et sans issue, le même acharnement sadique d’une nature qui semble soudain dévoiler son visage hostile et carnassier. Dans les deux cas, c’est ce délire de passion douloureuse qui sauve in extremis le film propagandiste de l’insignifiance.

Lone Survivor en VO.

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