Le Chevalier de Maison-Rouge

Le Chevalier de Maison-Rouge Albert Capellani / 1914

Paris, 1793, pendant la Terreur. Le Chevalier de Maison-Rouge fomente un complot pour faire évader la reine Marie-Antoinette. Il reçoit l’aide de Dixmer, son beau-frère, maître-tanneur vu par ses concitoyens comme un ardent révolutionnaire…
 

De loin, Capellani semble être une sorte d’héritier gonflant du déjà très gonflant “Film d’Art”. Les textes croisés sur le net insistent sur l’innovation de son œuvre, sur sa nature de “chaînon manquant français” entre Zecca et Griffith – notamment par ses panoramiques, ses inserts, ou le réalisme de ses tournages en extérieur. Sans remettre en cause la validité de ces visions d’historien, je reste un peu dubitatif sur l’intérêt d’aller apprécier le film sous cet angle-là, tant c’est aller y chercher à la tractopelle quelques miettes dérisoires. On y trouve deux travellings (qui pour le coup font certes vraiment évènement), peut-être 10 inserts à tout casser ? On reste dans un cinéma fondamentalement “en tableaux”, quand bien même ceux-ci sont parfois articulés, et le nier en allant chercher l’identité du film ailleurs, dans un futur cinématographique dont on devinerait les quelques premières traces ça et là, me semble surtout être l’occasion de rater ce qui en fait la saveur.

Car c’est justement le tableau qui fait la force du film : ce qui séduit ici est l’alliage du geste naturaliste et de compositions presque iconiques, qui en prenant forme semblent soudain symboliser ou résumer la situation, comme dans l’instantané schématique d’une fresque. Dans ce récit foncièrement anti-révolutionnaire, c’est par exemple très parlant pour la Reine, figure droite entourée de ses suivantes, qui en se figeant dans une pose ferme, à l’endroit stratégique du tableau, tient en respect le chaos des sans-culottes qui l’assaillent. Ainsi avance le récit, par l’à-coup de compositions auxquelles le réalisme (de jeu, de détail) donne corps : que le roman soit foisonnant ou non, il y a là un art évident du compactage, du condensé en situations fortes – qui font d’ailleurs que le film ne comporte absolument aucun carton de dialogue (je ne sais pas si c’est une mode de l’époque où juste une originalité de Capellani, mais c’est en tout cas très cohérent avec la manière de son film).

Il est agréable de redécouvrir le cinéma en tableaux français sans cette impression de théâtre filmé qui lui colle parfois à la peau au début du siècle – même si ça implique, au fond, de préférer au cinéma forain et populaire, et à sa fragmentation très libre, une normalisation et une forme longue venant faire du pied au public bourgeois, en flattant ses envies de sérieux. Qu’importe, le film est assez irréprochable dans ses deux premiers tiers, quand toute l’intrigue est épurée autour du plan d’évasion à mener à bien. La dispersion qui s’ensuit est moins bien pensée, et les deux derniers chapitres sont plus hésitants : il aurait alors sans doute fallu choisir l’un des duos de personnages, et se focaliser prioritairement dessus pour traverser les évènements de façon plus intime (car la fin, qui veut rattraper le déficit émotionnel si maladroitement qu’elle en semble parodique, en revient aux travers sentencieux du cinéma des théâtreux).

(F) [extrait]

Laissez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

Vous pouvez utiliser les balises et attributs HTML suivants : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>