Légers spoilers.
Eephus débute sans enthousiasme, semblant se contenter de mélanger diverses modes du cinéma indé US – un peu de burlesque pince-sans-rire façon Wes Anderson (plans fixes pastels et chapitrés), un peu de cette modernité US “canard sans tête” qui aligne les ruptures rythmiques et sonores au hasard…
Et puis assez vite le film laisse entrevoir ce qui fait sa force. On pourrait la résumer à ce constat que font les deux skaters stone, observant le match de baseball en périphérie du stade : on n’y comprend rien. C’est aussi le cas du spectateur européen, bien sûr, peu au fait des règles du jeu, mais pas seulement : le match est fragmenté à l’image, rejeté hors-champ, souvent dans l’à-côté ou à la périphérie (commenté, plus que vu directement). Tout dans le film est ainsi diffracté, fait de remarques centrifuges, de réactions éparpillées, comme un puzzle ou une équation de l’Amérique à recomposer.
Le match de base-ball lui-même, pris au pied de la lettre (rendu dans son temps entier, filmé à son rythme lent si particulier, mais amputé de tout ce qui pourrait aider à le comprendre), apparaît comme une sorte de rituel étrange aux gestes opaques, dans l’abstraction de ce grand terrain plat où s’agitent le spectre déclinant de la communauté américaine – image lunaire d’hommes, la plupart âgés, qui répètent de mêmes gestes incompréhensibles comme conditionnés, comme “pour rien”.
Le football qui se joue sur le terrain d’à côté n’apparaît alors pas tant comme un comparatif de vieux con (ce “sport de jeunes”, mondial, qui va supplanter le traditionalisme de l’ancienne Amérique), mais plutôt comme un sport simple et immédiat qui ignore la chorégraphie compliquée et cryptique qu’exécutent ces hommes. Le pamphlet nostalgique sur un passé qui meurt se voit ainsi toujours vitalisé par l’étrangeté latente de ce spectacle, plus encore au fur et à mesure que le match tombe dans la nuit (et par-là même dans l’absurde, puisqu’il s’agit de continuer à jouer dans le noir). Le film rend alors poignants ces personnages qui continuent malgré tout à l’exécuter, comme une formule magique à danser pour que le lien social et une certaine Amérique perdurent, ne serait-ce qu’une soirée de plus.
Eephus, le dernier tour de piste pour le titre complet VF.
