Duel au soleil King Vidor / 1946

Scott Chavez est condamné à la pendaison pour avoir assassiné sa femme, Indienne, qui multipliait les aventures extra-conjugales. Avant de mourir, il confie sa fille, Pearl, à une ancienne amie installée dans un ranch texan avec son mari et ses deux fils…

Quelques spoilers.
 

On ne sait pas trop, devant Duel au soleil, comment prendre les envies de grandeur manifestes qui secouent le film. On ne sait pas s’il se joue là une volonté un peu factice, un peu pathétique, de “refaire un grand film comme Autant en emporte le vent” (dont on retrouve de nombreux traits : le sud éternel, l’esclave en personnage secondaire, l’héroïne défiante, un couple mêlant amour et haine…). Ou s’il faut n’y voir qu’une nouvelle déclinaison du style Selznick (grands soirs gigantesques, passions épidermiques et tragiques) – Selznick qui fut au fond, à la manière de Disney, un producteur agissant comme un cinéaste par procuration, qu’importe le metteur en scène.

King Vidor, néanmoins, a plus de cinéma dans la patte que Victor Flemming, et si son film manque au final de quelque chose, c’est presque de durée – la fresque promise se termine étonnamment vite, le film se dirigeant droit comme une comète vers la fatalité de son final, plutôt que par les circonvolutions d’un lent édifice narratif (laissant d’ailleurs de côté certains des personnages secondaires, comme celui du faux prêtre). Duel au soleil est surtout occupé à rejouer l’un des tropismes du western (promesse de civilisation contre sauvagerie de l’Amérique première), enjeu ici reformulé à la fois en termes politiques (propriétaire contre loi démocratique, égoïsme contre bien commun) et en termes sexuels (mauvais frère égotique mais sexuellement attirant, bon frère protecteur mais chaste et un peu chiant). Ce sont ces deux frères, Gregory Peck et Joseph Cotten, qui parviennent à faire vivre cette dichotomie manichéenne de manière viscérale et sensible, l’un comme l’autre ne parvenant pas à être vécus par le spectateur comme tout à fait aimables, ni tout à fait détestables. Au milieu de ce duel, Jennifer Jones exprime elle tout ce que le conflit a de plus puritain, dans un jeu d’actrice quelque peu hystérique qui passe en un clin d’œil, parfois plusieurs fois au sein du même plan, de la jeune innocente inquiète à la créature charnelle habitée de pulsions, comme soudain possédée par quelque démon.

Duel au soleil cependant, quand bien même il a son lot de réflexes rances, n’en pâtit pas particulièrement. Déjà parce que cette dichotomie, posée là avec tant d’évidence, comme sur un présentoir, devient presque un sujet en soi (le film raconterait alors la manière binaire et biaisée dont une jeune naïve conçoit ses propres désirs) ; et ensuite parce que le climax du film, où le jeu de Jones, qui soudain ne subit plus cette double-énergie mais la re-déploie sur un mode offensif, se fait spectaculaire et terrifiant. Le final est aussi grandiose qu’on nous l’avait promis, les visions grandiloquentes de Selznick y trouvant une sublime acmé de désir et de sang. Mais il reste, peut-être à cause du patchwork hétéroclite de cinéastes ayant valsé à la production, qu’il est difficile de tracer une ligne émotionnelle continue à travers ce film (sinon au travers de quelques figures isolées, comme le beau personnage de Lilan Gish) : à faire les comptes, Duel au soleil impressionne plus qu’il n’émeut.

Duel in the Sun en VO.

 

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